Italie-France : une rencontre au sommet à la Seine Musicale !
Mercadante, Rossini, Cherubini : trois compositeurs italiens dont l’art s’est épanoui au début de l’ottocento (dès la fin du XVIIIe siècle pour Cherubini) et dont la gloire a franchi les Alpes : de fait, ces trois compositeurs ont effectué un séjour parisien, long et glorieux pour Cherubini et Rossini, bref et raté pour Mercadante, qui y créa sans succès sa version des Brigands de Schiller : I Briganti (onze ans avant Verdi et ses Masnadieri). La cohérence du programme présenté samedi 13 janvier à La Seine Musicale est donc triple : thématique, historique et esthétique – du moins en partie pour ce dernier point, le Requiem en ut mineur de Cherubini, créé en 1817, se singularisant par une originalité et une ouverture sur la modernité assez étonnantes.
Mais le programme séduit avant tout par le choix des œuvres retenues : les occasions d’entendre la Sinfonia su motivi dello Stabat del celebre Rossini de Mercadante, le Requiem de Cherubini ou le Pianto di Armonia sulla morte di Orfeo de Rossini sont rares – rarissimes, même, pour la cantate de Rossini. C’est peu de dire que les artistes ont pleinement rendu justice à ces œuvres.
Exécutée pour la première fois à Naples en tant qu’ « Introduction » au Stabat, la Sinfonia (ou « ouverture ») de Mercadante fut composée en 1843, soit un an après la création du Stabat Mater de Rossini. Le programme du concert indique que cet opus de Rossini comporte quatre numéros composés par Giovanni Tadolini et fut créé à Madrid en 1833, mais cette première version de l’œuvre fut retravaillée et complétée, aboutissant à un Stabat cette fois-ci intégralement signé de la main de Rossini et créé triomphalement à Paris en 1842. C’est bien sûr de cette version que s’inspire Mercadante, puisqu’il utilise dans sa Sinfonia des motifs composés spécialement à cette occasion.
Cette Sinfonia est assez étonnante : s’ouvrant sur les premiers accords majestueux et terrifiants de l’Inflammatus, elle n’offre pas un « résumé » de l’œuvre qu’elle introduit : certains morceaux du Stabat – et non des moindres – en sont absents, tels le diaphane Quando corpus (à peine évoqué dans le tout début de l’œuvre) ou encore la fugue finale, sans doute pour ne pas déflorer la conclusion extraordinaire de l’œuvre. Mais elle reprend de nombreux motifs choraux ou dévolus aux solistes, avec parfois des changements de couleurs étonnants, tels le Sancta mater, istud agas ou le Eia, mater, fons amoris qui deviennent, sous la plume de Mercadante, presque enjoués et sautillants ! Quoi qu’il en soit, la Sinfonia de Mercadante est séduisante, surtout lorsqu’elle est conduite d’une main de maître par Leonardo García Alarcón, premier chef invité d’Insula, et qui obtient de cet orchestre des couleurs, des contrastes, des nuances, des coloris remarquables : si ce chef argentin est essentiellement connu pour ses remarquables interprétations du répertoire baroque, son succès semble tout autant assuré dans celui du premier ottocento, comme en témoigne l’accueil très chaleureux que lui réserve le public !
Mêmes qualités de l’orchestre et du chef – et même accueil enthousiaste du public – pour le Requiem de Cherubini par lequel s’achève la soirée : cette œuvre trouve ici des interprètes capables de traduire idéalement les volontés du compositeur en termes d’effets produits et d’émotions transmises : l’ambiance tout à la fois recueillie et sombre de l’Introït, l’angoisse du Dies Irae, la prière angoissée de l’Oro supplex et acclinis, la douceur recueillie du Pie Jesu, l’émotion du génial Agnus Dei qui, sous la plume de Cherubini, prend les couleurs d’une supplique inquiète et vibrante, tout est superbement rendu. L’orchestre est magnifiquement secondé par le chœur Accentus, qui retrouve ici le même niveau d’excellence que lors des concerts de 2011 où il interpréta l’œuvre à Rouen, Versailles et au Havre : grande homogénéité des registres, phrasé et diction impeccables, grand sens des nuances (pureté et douceur dans l’attaque du Salva me, fons pietatis par les sopranos), dramatisme efficace dans sa sobriété même (Mors stupebit et natura). La plus grande qualité de l’interprétation proposée par Leonardo García Alarcón, l’orchestre Insula et le chœur Accentus réside sans doute dans le fait qu’en dépit de ces forts contrastes, l’œuvre ne perd jamais la cohérence de ton et de style qui est sans doute sa première caractéristique.
Entre la Sinfonia de Mercadante et le Requiem de Cherubini, le public entend également la rare cantate de Rossini : Il pianto d'Armonia sulla morte di Orfeo, dont la première exécution eut lieu à Bologne, au Liceo musicale, le 11 août 1808. L’œuvre est exclusivement chantée par des voix d’hommes : curieusement, le chœur des Nymphes est donc masculin, et un ténor interprète la figure allégorique Armonia (l’Harmonie) qui, en deux airs précédés chacun d’un récitatif, pleure la disparition du poète Orphée, dont le corps fut déchiqueté par les Bacchantes après que la mort d’Eurydice eut rendu le chanteur de Thrace insensible aux charmes du beau sexe. L’œuvre est étonnante de tenue, de fougue, d’expressivité, surtout lorsque l’on considère qu’elle a été composée par un Gioacchino tout juste âgé de seize ans ! Il s’agit d’une des premières œuvres vocales de Rossini – mais pas la première, contrairement à ce qu’écrit Stendhal dans sa célèbre Vie de Rossini : si Demetrio e Polibio ne fut créé qu’en 1812, plusieurs pages de cet opéra étaient déjà achevées dès 1806. On y admire çà et là les qualités de clarté, de transparence et d’inventivité qui seront par la suite la marque du compositeur – et l’on entend même déjà très clairement, dans la Sinfonia qui ouvre l’œuvre, la splendide phrase que chantera Amaltea (A pena, sì crudel reggere il cor non sa !) dans la toute première scène du Moïse en Égypte de 1818 !
L’Harmonie est chantée par Maxim Mironov. Il est magistral. Que de chemin parcouru depuis le soir de juillet 2006 où le public d’Aix-en-Provence tomba sous le charme de ce joli Lindoro dans L’Italienne à Alger, vêtu de son inoubliable gilet trop court, adorable, frais et poétique, aux allures presque encore adolescentes ! Maxim Mironov est aujourd’hui au sommet de son art : d’une voix admirablement projetée, d’une beauté incroyable sur toute la tessiture (les graves sont crânement assurés sans que l’aigu ait perdu de sa facilité ou de son éclat), capable de puissance comme du raffinement le plus subtil, d’une expression tantôt virile et pleine d’assurance, tantôt empreinte de douceur et de tendresse, il offre une interprétation de référence.