Broadway chante sous la pluie parisienne
Tandis que le Théâtre du Châtelet fait peau neuve (les travaux débutés en mars dernier devraient durer deux ans et demi), sa production de Chantons sous la pluie s’est vue déplacée sous la plus grande verrière d’Europe. À sa création en 2015, le succès est au rendez-vous, et ce changement de décor ne joue pas en sa défaveur : installée en six jours seulement, la nef est investie de gradins et d’une scène truffée de machineries de cinéma et de théâtre. La scène est délimitée par une grande arche illuminée d’ampoules, situant sans aucun doute la soirée le long de Broadway Avenue.
Singin' in the Rain est un classique, entré au Panthéon des films musicaux en 1952, grâce aux icônes de l’époque (Gene Kelly, Debbie Reynolds et Donal O’Connor). Sa musique est également à l’origine de son succès : rythmes entraînants, mélodies inoubliables, et numéros de claquettes époustouflants ont été les ingrédients magiques de sa longévité. Et cela se voit dans le public : toutes générations confondues ont fait le déplacement en famille et entre amis pour un moment de convivialité. Avant chaque représentation, le public peut également assister à des ateliers de claquettes et de chant, visionner des extraits vidéo et dîner au sein du Grand Palais.
Dès les premières notes de l’ouverture orchestrale, l'auditeur remarque que les musiciens sont amplifiés (pour arriver à remplir ce gigantesque espace), ce que le spectateur oublie vite, grâce à un bon équilibre des sons. Lever de rideau : les costumes et les décors sont grandioses et nous plongent immédiatement dans le Hollywood des années 1920.
Une double énonciation s’installe rapidement lorsque Don Lockwood raconte ses souvenirs d’enfance, et notamment sa rencontre avec son ami, le compositeur Cosmo Brown. Ce que le cinéma peut faire à coup de montage, le théâtre le fait grâce à une vidéo projetée : la scène est tantôt salle obscure, tantôt lieu où se déroule l’action. Dans le rôle de la vedette de cinéma muet, Dan Burton est étincelant. Sa voix est appuyée dans les médiums, ses graves sont chauds et puissants, ses aigus clairs. Avec un léger vibrato serré, il incarne l’archétype du performer à l’américaine, s’adonnant à des numéros de claquettes et de danse avec la plus grande facilité. Son acolyte est interprété par Daniel Crossley, au timbre plus rauque et plaçant sa voix dans le masque, ce qui sied à son personnage comique, arborant un accent populaire. Sa performance du très sportif « Make Them Laugh » est à la hauteur de la version sur pellicule, remportant de vifs applaudissements de la part du public. Il garde une justesse impeccable malgré les cabrioles de son personnage et déclenche l’hilarité des spectateurs tout au long de la représentation.
Don Lockwood s’entiche d’une demoiselle de grand talent dont la carrière ne parvient pas à décoller : Kathy Selden. Monique Young est l’actrice qui enfile les bottes de la jeune chanteuse, portant de jolies voyelles bien claires et une voix brillante, mais malheureusement ternie par un vibrato très présent et très large, ce qui l’amène à détimbrer. Le plaisir n’en est toutefois pas troublé, lors de ses célèbres airs « Good Morning » ou « Would You? ».
L’Orchestre Pasdeloup, dirigé par Gareth Valentine, est aussi brillant que les décors, se faisant sautillant et jazzy. Produisant un bel équilibre entre les familles d’instruments, il est le personnage indispensable à l’histoire, à l’image du piano qui accompagnait jadis les films muets.
La mise en scène de Robert Carsen, ainsi que tout le travail scénographique rend une représentation millimétrée comme du papier à musique. L’ancien monde du cinéma muet est représenté par des décors et des costumes noirs et blancs, contrairement aux passages musicaux, qui rivalisent d’éclat. Le célébrissime « Singin' in the rain » est situé dans un décor de rue – littéralement – inondé de pluie, produisant un numéro fidèle au film.
Les spectateurs sont également pris à partie lorsque Kathy tente de s’enfuir par les gradins, avant d’y être rejointe par Don. La compagnie revient après de chaleureux applaudissements vêtue de cirés et de bottes jaunes, faisant virevolter des parapluies de toutes les couleurs pour une ultime reprise de l’air-titre. Cette « opening night » est saluée par une standing ovation de la part d’un public transporté.