Ludovic Tézier fait chavirer le public de l’Opéra National de Lorraine
Toute la puissance et la grandeur verdienne se concentrent dans les premiers accords, par l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, de l’ouverture de La Force du Destin. A l’arrivée de Ludovic Tézier, ce choix d’ouverture s’impose comme une évidence, tant il se dégage de force et de puissance de sa simple présence.
Avant d’entamer le premier air, Ludovic Tézier dédie ce récital à Dmitri Hvorostovsky, décédé la veille, en lui rendant un hommage appuyé, rappelant à quel point la perte précoce du baryton est cruelle et la peine du monde lyrique immense.
Le premier air choisi, « Nemico della patria », extrait d’André Chénier, permet d’emblée au public de mesurer l’impact que chaque son et chaque mouvement de corps aura sur l’auditoire. D’abord très légèrement penché, il se relève au moment où jaillit le flux extraordinaire de sa voix. Perfection de l’intonation et richesse du timbre ne sont qu’un échantillon des qualités du baryton. Sa présence scénique est spectaculaire, il semble quitter sa propre enveloppe corporelle pour devenir Carlo Gérard, le magnifier et l’amplifier.
Avant de sortir de scène dans l’attente du prochain air, Ludovic Tézier, sous les bravi déjà nombreux, serre chaleureusement la main de Rani Calderon et embrasse de la main le public.
Il laisse la scène au ténor Sungmin Song, qui interprète Mario Cavaradossi, et à la jeune soprano Yamna Elyasmino qui incarne Floria Tosca dans le célèbre « Ah ! Franchigia a Floria Tosca ». La gestuelle est statique, les chanteurs se regardent peu, et c’est seulement au moment de « O, dolci mani » que le rapprochement se fait. Sungmin Song développe de beaux aigus, bien articulés. Yamna Elyasmino fait montre d’une articulation parfaite, et son timbre est si chaleureux que ses aigus en sont veloutés, presque moelleux.
Après la félicité de l’Intermède de Cavalleria Rusticana, ovationné par le public et par Ludovic Tézier lui-même lorsqu’il revient sur scène, le baryton choisit l’air de Wolfram, « O du mein holder Abendstern », extrait de Tannhäuser. C’est encore une nouvelle facette de l’artiste qui se révèle au public. Aussi à l’aise dans la diction de l’allemand que de l’italien, il puise au plus profond de son coffre pour délivrer chaque syllabe. Les « r » sont roulés, le défi du « ch » doux germanique dépassé. Yeux clos et visage levé vers les dorures des galeries de l’Opéra National de Lorraine, Ludovic Tézier est cette fois sorti d’un tableau de Caspar David Friedrich.
La Barcarolle des Contes d’Hoffmann voit le retour de Yamna Elyasmino, cette fois en Giuletta et l’entrée de la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek en Niklaus. La soprano conserve la même aisance sonore qu’auparavant, et l’alliance des deux voix est douce et harmonieuse.
Pour le dernier air avant l’entracte, Ludovic Tézier est un personnage verdien absolu. « Cortigiani, vil razza dannata » de Rigoletto lui permet, encore une fois, par la gestuelle de ses mains, nerveuses puis implorantes, de son visage qui se contracte, de véhiculer toute la palette des sentiments du personnage, qu’il se questionne, s’exclame, demande pardon en soufflant presque la fin du mot « perdon ». Pour la pitié finale qu’il implore, le « a » de « pietà » est longuement tenu, en osmose avec les instruments. Ludovic Tézier est aussi ému que le public, qui a du mal à quitter la salle à l’entracte et à se détacher de Rigoletto, père anéanti.
La deuxième partie du programme s’ouvre sur l’ouverture pimpante d’Il Signor Bruschino de Rossini, dirigé, comme à son habitude, de main de maître par Rani Calderon.
Ludovic Tézier revient sur scène pour, cette fois, devenir le Comte des Noces de Figaro. L’air « Ha già vinta la causa » le plonge dans la réflexion, puis il sourit, se déplace sur le devant de la scène, conservant cette expressivité extraordinaire qui hypnotise le public depuis le début du programme. Nul n’est besoin de mentionner que toute difficulté de diction est réduite à néant et que le timbre du baryton maintient la même richesse somptueuse, le même souffle, qu’en début de récital.
Les sopranos Katherine Schwesinger et Vanessa Fouillet prolongent les Noces de Figaro, incarnant la Comtesse et Suzanne dans le duo « Sull’aria ». Le timbre de Katherine Schwesinger est légèrement plus alourdi que celui de Vanessa Fouillet, délicat et aérien, mais l’association de leurs voix assure un très bel équilibre à leur duo.
Le récital passe du duo au trio « Soave sia il vento » de Così fan tutte. Katherine Schwesinger est Fiordiligi, Anne-Lise Polchlopek Dorabella, et Ludovic Tézier Don Alfonso. Les aigus sont assurés, plus légers cette fois pour la soprano, et le timbre du baryton semble être la charpente, stable et enveloppante, sur laquelle s’accrochent ces voix plus aigues.
Le « Duo des Fleurs » de Malika (Anne-Lise Polchlopek) et Lakmé (Vanessa Fouillet), dont les vibratos conjoints, cristallins, ravissent le public, se transforme presque en un trio avec la voix du violoncelle. Les cordes restent à l’honneur avec la « Méditation de Thaïs » et le superbe violon solo de Jean-Marie Beaudour, félicité par le baryton.
Thaïs se poursuit, cette fois avec l’ « air d’Athanaël », et une découverte supplémentaire de la magnificence vocale de Ludovic Tézier et de son articulation du français. Lorsque le baryton convoque les « anges du ciel » et le « souffle de Dieu », le public se surprend à lever la tête : Ludovic Tézier est un faiseur de miracles.
Le dernier joyau du programme est extrait à nouveau de Rigoletto. Pour le quatuor « Un dì, se ben rammentomi », le public retrouve Sungmin Song en Duc, Anne-Lise Polchlopek en Magdalena, Vanessa Fouillet en Gilda, et Ludovic Tézier dans le rôle principal. Le quatuor est réglé sur la ligne du baryton. Le duo entre Magdalena et le Duc fonctionne parfaitement, sous l’œil attentif et bienveillant du maître. Le duo père-fille est enchanteur, comme le public pouvait s’y attendre. Vanessa Fouillet est aussi délicate en Gilda qu’en Suzanne.
Deux rappels suivent les ovations du public. « Ah ! Per sempre io ti perdei », air de Riccardo extrait des Puritains de Bellini, et « Eri tu che macchiavi » d’Un Bal Masqué de Verdi. Chacun déclenche les bravi du public qui se lève à nouveau pour ovationner Ludovic Tézier et l’orchestre, puis l’ensemble des chanteurs qui revient sur scène.