Concert "Fantastique" à la Philharmonie
Fantastique, la soirée l’est d'abord d’un point de vue numérique : c’est la première fois que l’Orchestre de Paris se produit aux côtés des musiciens du Conservatoire National Supérieur de Paris, auxquels s’ajoutent le Chœur de l’Orchestre de Paris, le Chœur Philharmonique du COGE (chœur philharmonique des grandes écoles), cinq solistes, un récitant et deux chanteurs d’oiseaux (siffleurs). Trois cents artistes au total se retrouvent sur scène pour fêter les cinquante ans de l’Orchestre de Paris dans une qualité d’interprétation « fantastique » !
La première partie instrumentale puise le surnaturel dans la mythologie et les contes russes, permettant au grand orchestre une large palette sonore et rythmique dans l’acoustique exceptionnelle de la Philharmonie. La Bacchanale de Jacques Ibert entame la soirée avec une musique dionysiaque : les cuivres se frottent aux contretemps énergiques des cordes dans une esthétique jazz qui n’est pas sans rappeler les sonorités de Gershwin. L’oiseau de feu-suite n°2 de Stravinsky est introduite par deux chanteurs d’oiseaux, Johnny Rasse et Jean Boucault. Imitateurs incroyables du chant des oiseaux, ils font entendre une grande variété de sifflements avec pour seul soutien un micro HF.
La direction très précise de Thomas Hengelbrock pour un ensemble parfait favorise un phrasé très souple et libre. Chaque famille d’instruments a son heure de gloire et les interprètes excellent aussi bien dans le rang qu’en tant que solistes.
L’effectif spectaculaire prend place pour la deuxième partie, le grand chœur dans les gradins au-dessus de l’orchestre et les quatre solistes sur scène derrière l’orchestre. Les œuvres présentées évoquent les histoires légendaires germaniques et l’imaginaire des contes norvégiens.
Die Erste Walpurgisnacht (la première nuit de Walpurgis) de Mendelssohn est un hymne au paganisme. Puisé chez Goethe, le sujet de cette cantate évoque la lutte des païens contre les chrétiens. Berlioz, qui assista à la première à Leipzig, écrira à propos de la musique : « les effets de voix et d’instruments s’y croisent dans tous les sens, se contrarient, se heurtent, avec un désordre apparent qui est le comble de l’art ».
Après l’ouverture orchestrale, le ténor Steve Davislim annonce le retour du printemps de son timbre brillant aux aigus assurés. Il incarne son personnage de druide, regardant peu la partition, dans une posture tendue vers la salle. Ambroisine Bré (mezzo soprano à l'affiche du concert révélations ADAMI), met en garde le peuple sur l’interdiction de ce rite de sa voix résonante et ronde aux consonnes bien appuyées. L’orchestre lui fait place dans une nuance suave donnant un relief expressif à sa courte intervention. Le baryton Michael Volle, autre druide, s’oppose à cette mise en garde et, déployant sa voix richement timbrée, enjoint le peuple à braver l’interdit. Sa deuxième intervention affirme sa présence vocale dans toutes les nuances et il interprète le final « Dein Licht » majestueusement. Le récit de la basse, Edwin Fardini, scande l’élaboration d’un stratagème pour faire peur aux chrétiens en retournant contre eux leur propre croyance. S’appuyant sur les roulements de timbales et le jeu des cordes graves, il déclame son texte précisément et ses consonnes explosives participent à l’atmosphère de conspiration.
La part belle est donnée au chœur d’une grande force évocatrice, mariant divers styles d’écriture pour une expressivité exaltée. Les deux chœurs réunis forment une pâte sonore homogène, souple et précise, faisant oublier qu’il s’agit de chœurs constitués d’amateurs. Edvard Grieg composa une musique de scène pour la pièce d’Ibsen, Peer Gynt. Il est difficile de synthétiser l’ensemble du déroulement dramatique tant l’histoire est rocambolesque, entraînant le personnage à travers le monde jusqu’aux portes du paradis. La version présentée ce soir est extraite de l’opus 23 pour récitant, soliste, chœur et orchestre dans une version en allemand. Les numéros de l’œuvre, véritable arc-en-ciel sonore de danses virevoltantes, de mélopées orientales, de chansons populaires et de suspensions orchestrales s’enchaînent naturellement au texte grâce à un procédé de tuilage.
Éric Ruf, aux multiples talents reconnus (acteur, metteur en scène, décorateur, administrateur de la Comédie française, entre autres), prête sa voix au personnage de Peer Gynt et au narrateur. Le micro HF permet à l’acteur de diffuser son texte d’une voix exempte de toute emphase déclamatoire et de créer une confidentialité avec le public. Impliqué quand il parle, tenant son texte d’une main et déployant de larges gestes expressifs de l’autre, il s’assied, écoute, suit la partition au cours des pages de musique pure.
La voix colorée d’harmoniques et l’émission aisée de Katharina Konradi (soprano), sied parfaitement au personnage de Solveig. Le phrasé souple sans vibrato exagéré et les aigus cristallins évoquent la jeunesse du personnage dans sa célèbre chanson. La berceuse révèle un médium très présent et un magnifique timbre. Là encore le chœur développe un travail impeccable et Thomas Hengelbrock parvient à créer une unité faite d’élans, de suspensions et de vitalité.
Après maints tumultes musicaux la soirée se termine dans l’apaisement du chant des fidèles, hymne a capella célébrant le retour de Peer Gynt en Norvège. Il retrouve les bras consolateurs de Solveig dans une berceuse extrêmement touchante suspendant le public dans une méditation qui sera interrompue après quelques secondes de silence par des « bravi » reconnaissants.
Thomas Hengelbrock dirigera Orphée et Eurydice de Gluck à l'Opéra de Paris du 26 Mars au 6 Avril 2018 : réservations