Le Festival Berlioz traverse l'Asie depuis le Musée Guimet
Ce concert organisé en partenariat avec le Festival Berlioz se donne pour mission de réparer une double injustice et n'aurait pu choisir un meilleur lieu pour ce faire. Il s'agit en effet de montrer que l'intérêt pour l'Asie chez les musiciens ne commence pas avec Debussy, mais déjà avec Berlioz. C'est précisément pour cela que la dernière édition du Festival Berlioz à La Côte-Saint-André célébrait les expositions universelles (retrouvez nos comptes-rendus), car avant celle de Paris en 1889 durant laquelle Debussy découvrit le Gamelan javanais, Berlioz est chargé par la France d'examiner les instruments de musique exposés en 1851 à Londres. L'autre "injustice" réparée durant la soirée consistera à jouer l'ouverture de Taï-Tsoung, l'opéra composé par Émile Guimet en personne, une œuvre qui n'a été donnée qu'à Marseille, et qui résonnera donc dans ce lieu 100 ans après la mort de son fondateur : pour lui, en somme, le concert du siècle, par Les Siècles.
Investissant la fascinante la Cour Khmère au sein du Musée national des arts asiatiques, les artistes sont littéralement placés parmi les statues des boudas du Cambodge. François-Xavier Roth est même caché derrière la statue trônant au centre de la salle et les amples mouvements du chef en figurent les bras manquant. François-Xavier Roth en joue durant les saluts, se penchant en ne laissant voir que son visage hilare. Ses musiciens ont le souffle long de la flûte et le léger pincement du hautbois (ces instruments universels, connus en Asie sous le nom et les couleurs de hichiriki et chiba).
Le programme traverse l'Asie, d'abord par l'ouverture de La Princesse jaune signée Saint-Saëns. Le rythme, l'amplitude et les couleurs appartiennent à une caravane orientale miroitant au soleil. Puis le mouvement frémissant déploie les cuivres à travers l'acoustique extrêmement longue de cette salle muséale.
La soprano Dongmin Lee en ample robe pivoine interprète les Quatre poèmes hindous de Maurice Delage. La chanteuse offre une interprétation extrêmement appliquée. Penchée constamment sur sa partition, elle égraine les mélodies note à note, du bout des lèvres. La projection menue et en-dedans n'aide pas davantage une prononciation du français qui la trouve en difficulté. Elle parvient toutefois à saluer les cigales du "Jour sous le soleil béni" (Madame Chrysanthème d'André Messager) et elle déploie des aigus sonores (quoique courts et peu affermis) qui voyagent à travers le hall en bondissant sur les joues potelées et rieuses des boudas. Fort heureusement, les instrumentistes connaissent parfaitement ce répertoire, ses moindres pizzicati et glissandi aux couleurs orientales qu'ils viennent d'enregistrer avec Sabine Devieilhe (parmi un merveilleux voyage intitulé Mirages et relaté ici).
Berlioz a la place centrale du concert, avec le Ballet des Troyens, son entrée sautillante des constructeurs, l'entrée grave des matelots, l'entrée de laboureurs souples et amples avant une danse des esclaves ternaire, emportée dans des accents projetés avec juste un ralenti pour mener aux grands accords finaux.
Toutefois, c'est l'ouverture de Tai-Tsong qui fait donc figure d'événement en ce lieux, mais elle ne restera pas un événement musical et son silence centenaire est tout sauf une injustice. Émile Guimet en compositeur amateur enchaîne les figures imposées à un élève de conservatoire (gammes, contrepoint, fugues, danses, rythmes pointés, roulements de timbales), sans ligne d'ensemble et avec de brusques ruptures de cadences comme de nuances. Visiblement et audiblement décontenancé par cette partition, l'orchestre multiplie les erreurs sur une harmonie qui se résume pourtant à deux lignes. Guimet aura au moins eu le mérite de mettre en avant la gamme orientale de cinq sons (pentatonique) qui fut notamment sublimée par le chef-d'œuvre qui suit (cruellement) dans le programme : Ma Mère l'Oye de Ravel et sa "Laideronnette Impératrice des Pagodes".
Dongmin Lee en interprète habituée de l'Opéra de Cologne revient pour Lakmé, libérée de sa partition. Le volume en bénéficie quelque peu, l'émotion davantage, rien qu'avec ces mains qui peuvent désormais se joindre en prière et à ce regard qui peut s’élever vers les cieux, avec la voix. Les Siècles semblent veiller sur le ballet ensorcelé qui mène vers la princesse d'Inde, Dongmin Lee qui fait sonner les clochettes, engorgées mais d'une grande virtuosité qu'elle disperse par un sourire mutin, en ping-pong avec l'orchestre.