Immersion en répétitions : La Cenerentola à Paris
Retrouvez les épisodes précédents de notre reportage dans les coulisses de La Cenerentola à Garnier :
- Lisez notre interview avec le metteur en scène Guillaume Gallienne
- Celle avec le chef Ottavio Dantone
- L'entretien que nous a accordé le jeune Ramiro : Juan José de Leon
- Les confessions de Teresa Iervolino, la lumineuse Cenerentola.
Lundi 29 mai : service musical
Après quatre semaines de répétitions scéniques aux ateliers Berthier, et avant de prendre possession de Garnier, la ruche bourdonnante de l'Orchestre Rossinien nous accueille à Bastille : la place est déjà comptée dans l'enceinte du bâtiment moderne qui travaille en ce moment sur pas moins de quatre productions lyriques (Carmen, Eugène Onéguine, Rigoletto et Cenerentola). Les dimensions de la salle de répétitions permettent d'accueillir confortablement un grand orchestre, mais tout de même, très loin des dimensions du Palais Garnier, elle doit être aménagée pour éviter les résonances. Les murs sont donc couverts de panneaux anguleux boisés qui captent des réverbérations, tout comme le grand rideau ocre et or tendu derrière les musiciens.
La Cenerentola est un opéra central du répertoire, les musiciens connaissent par cœur leurs lignes. La partition leur sert avant tout d'aide-mémoire pour les choix effectués en répétition. Ils peuvent ainsi sentir leurs mouvements communs et regarder attentivement le chef. Ottavio Dantone dirige ses artistes par de grands mouvements de bras, dandinant du bassin et des épaules (Rossini demande le slalom et le Super-G), ou bien assis, d'une main souple. Sitôt le numéro de mesure annoncé, les instrumentistes partent au quart de tour. La précision chirurgicale de leurs doubles croches permet au chef de concentrer sa direction sur les intentions des phrases musicales. S'il arrête parfois la première note pour sculpter de nouveau un accord, il peut aussi laisser la musique se dérouler naturellement. Les cordes des violons comme les pages tournées sont alors fouettées par les archets. Les musiciens s'interrompent parfois individuellement pour annoter un détail sur la partition avant de reprendre en marche le train de la musique (les partitions sont des mémoires vivantes de visions d'artistes, emplies d'annotations et parfois même recouvertes avec bandes de papiers collées pour substituer des segments de variations musicales à l'édition imprimée). De temps à autre, une tête jaillit même par-dessus la masse orchestrale : c'est un musicien qui se lève pour regarder les annotations sur les partitions des chefs de pupitres.
Juan José de Leon et Alessio Arduini en répétition (© Vincent Pontet)
Lorsqu'une section est terminée, Dantone donne des consignes à toute la phalange de son bel accent italien chantant, ou fend les rangs avec bonhomie pour aller régler un détail particulier avec un musicien. Les pupitres se concertent et confirment l'annotation pour un effet demandé, le choix d'un tiré ou d'un poussé. La relation de confiance est visible entre ces musiciens et ce chef, dans un esprit de travail que la musique Rossinienne rend presque allègre. Les solistes présents chantent déjà à belle voix, travaillant leurs nuances et leurs intentions, en mettant parfois la main sur l'oreille pour entendre davantage leur propre timbre ou une résonance particulière.
Moments de sourire dans ce travail sérieux : la basse échange avec un cuivre une plaisanterie sur le livret, tout en chantant. Lorsque le chef demande un effet particulier, un musicien lui répond, taquin mais respectueux : « C'est plus cher » !
Les répétitions restent encore des moments de créativité. Le chef consacre quelques minutes à choisir très précisément la durée et l'intensité d'une nuance. Deux versions sont comparées et lorsque le maestro annonce piano sur un accord, les musiciens se saisissent de leurs crayons et annotent leur partition comme un seul homme, sans perdre le fil. Avant de conclure avec un filage de l'exceptionnelle ouverture, le chef récapitule mesure par mesure les choix effectués durant la répétition, sous l'assentiment de la phalange capitale.
Teresa Iervolino en répétition (© Vincent Pontet)
Mercredi 31 mai : scène piano chœur
Deux jours plus tard, la production a pris possession du Palais Garnier. Le décor est en place. Les coulisses fourmillent d'artistes et de techniciens en tout genre, depuis les choristes, jusqu'aux habilleuses en passant par les équipes éclairage et décors. La répétition du jour consiste à mettre en place les différents éléments techniques : sont principalement travaillés les transitions entre les numéros et les changements de décors. L'interprète du rôle-titre, Teresa Iervolino, doit ainsi traverser la scène tandis qu'un imposant élément du décor descend des cintres. Passées les craintes de voir ce panneau lui tomber dessus, la chanteuse entonne son air. Le constat est sans appel : le décor descend trop lentement et le metteur en scène Guillaume Gallienne invite son équipe technique à retravailler cette séquence pour que ce changement de décor se synchronise à la musique.
Pour la première fois, les chanteurs répètent avec leurs costumes : l'occasion de repérer les contraintes posées par un changement de costume, par le volume d'une robe qui complique le passage sur une passerelle étroite, ou par un escarpin qui glisse sur le sol escarpé du décor conçu pour cette production. Juan José de Leon, interprète de Ramiro, apparaît dans son costume de roi, très fier de cette somptueuse parure. Mais celle-ci déplaît au metteur en scène qui la trouve trop tape-à-l’œil : exit donc le couvre-chef, l'écharpe et les épaulettes. C'est aussi le moment de déterminer précisément quels accessoires sont utilisés : à cet instant de l'intrigue, Cenerentola porte-t-elle une cape, ou s'en est-elle débarrassée ?
Pendant les répétitions, des marquages au sol servent de repères aux chanteurs (© Eléna Bauer - Opéra national de Paris)
Guillaume Gallienne est assis au parterre. Muni d'un micro, il livre ses commentaires sans interrompre la musique, replaçant un choriste ou précisant une demande technique. Sa collaboratrice artistique fait le lien entre lui et les différents intervenants, courant dans un sens puis dans l'autre, toujours discrète. Assis à côté du metteur en scène, le Directeur de l'institution, Stéphane Lissner, observe la répétition, livrant ses commentaires et ses conseils. Quelques rangs derrière, des tables sont disposées, accueillant le matériel d'un assistant qui acte toutes les décisions prises durant la répétition, ainsi que les créateurs des lumières et des décors, Bertrand Couderc et Eric Ruf, qui sont équipés de casques et de micros afin de communiquer avec leurs équipes. Pendant qu'une scène est jouée, l'éclairage se fait d'un coup très vif, avant d'être atténué jusqu'à ce que le degré idoine soit identifié.
Bien qu'il ne s'agisse nullement d'une répétition musicale, l'orchestre étant absent et les chanteurs économisant leur voix en marquant (c'est-à-dire en murmurant leur partie pour ne pas fatiguer inutilement leurs cordes vocales), le chef Ottavio Dantone est présent dans la fosse, dirigeant les solistes ainsi que le piano et la harpe (utilisée dans les récitatifs) qui les accompagnent. En coulisse, le chef du chœur veille, dirigeant lui aussi ses troupes, leur lançant de grands gestes pour ajuster un tempo, une nuance ou une mise en place rythmique. À ses côtés, le régisseur règle les entrées et les sorties et coordonne l'ensemble des interventions. La Convention de l'Opéra impose de respecter scrupuleusement les horaires de répétition : lorsque sonne l'heure de la fin, une scène du chœur n'a pas pu être suffisamment répétée aux yeux de Guillaume Gallienne. Il donne donc ses instructions pour que les interactions en question puissent être travaillées durant un temps mort, durant la répétition du lendemain. Les solistes retrouvent leur loge, provoquant un nouveau remue-ménage des costumières qui reprennent les costumes afin de les remettre en état pour la répétition suivante.
Maurizio Muraro, Magnifico ! (© Vincent Pontet)
Jeudi 1er juin : scène orchestre chœur
Tandis que Guillaume Gallienne était à l'initiative la veille, c'est cette fois le chef Ottavio Dantone qui est à la manœuvre : l'objectif de la répétition du jour est en effet de régler la cohérence entre la scène et la fosse. L'ensemble des musiciens de l'orchestre est présent, remplaçant le chef de chant qui tenait le piano la veille. Cette fois, les chanteurs ne retiennent pas leur voix. Juste derrière le chef se tient son assistante, la partition ouverte sur un pupitre éclairé. Elle y note ses propres remarques, ainsi que celles qui lui sont dictées au fil de la répétition par le maestro.
Ce dernier est particulièrement attentif aux changements de mesures, c'est-à-dire aux aux passages au cours desquels le nombre de temps dans une mesure change, car cela nécessite un accord parfait entre les chanteurs sur la scène et les instrumentistes dans la fosse. Ces réglages font l'objet de nombreuses discussions. Pendant que le chef s'accorde avec les musiciens, l'activité ne s'interrompt pas sur scène : des techniciens utilisent ce temps pour régler une transition, des assistants viennent donner des indications aux chanteurs, des figurants répètent une intervention.
Alessio Arduini est un Dandy Dandini (© Vincent Pontet)
Si Guillaume Gallienne ne fait plus usage du micro qu'il tenait la veille, il n'en donne pas moins ses consignes, allant voir les membres de son équipe afin de décider de l'intensité d'un éclairage ou de l'intention d'un personnage. Sur scène, les chanteurs, sans leurs costumes cette fois, mettent de l'intention, portés par l'orchestre. Déjà, quelques lignes de force se dégagent dans le jeu : la direction d'acteur donne une épaisseur particulière à chaque personnage, y compris aux deux méchantes sœurs dont l'humanité est mise au jour. Passage par passage, la mise en scène prend vie, les différents éléments du puzzle s'assemblant, en attendant la pré-générale, quelques jours plus tard, au cours de laquelle l'image complète de la production devient visible. La générale, déjà, est ouverte au public : six jours plus tard, tout devra être en place pour cette répétition au cours de laquelle l'œuvre est jouée intégralement dans les conditions du réel, sans interruption.
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