Duo triomphal pour Giulietta e Romeo de Zingarelli à Versailles
Si Napoléon Bonaparte a laissé le souvenir d'un grand stratège militaire, il était aussi sensible aux belles voix. Très tôt, il succomba aux charmes -physiques comme vocaux- de la contralto Giuseppina Grassini, qui devint officiellement Première cantatrice de l’Empereur, ainsi qu’au pouvoir indescriptible de la voix surnaturelle du castrat Girolamo Crescentini. L’Opéra Royal de Versailles rend hommage à cette passion en ravivant une œuvre dans laquelle triomphèrent ces deux grandes voix qui marquèrent le tout début du XIXe siècle : Giulietta e Romeo de Niccolò Zingarelli.
Pour incarner la charmante Grassini dans le rôle de Juliette, la mezzo-soprano Adèle Charvet déploie son agilité vocale avec un beau sourire, ajoutant aisément à sa présence chatoyante la chaleur de son timbre. La virtuosité est maitrisée et enthousiaste, et la jeune interprète convoque ainsi l'émotion et la mémoire de l'air « Adora i cenni tuoi, questo mio cuor fedele » (J’aime tes signes, mon cœur fidèle), que la Grassini aurait chanté sans se cacher en direction de la loge impériale.
Le contre-ténor Franco Fagioli fait revivre les interprétations éblouissantes de Crescentini dans ce rôle qu'il incarnait déjà à Salzbourg en 2016. Dès ses premiers airs, le chanteur impressionne par son aisance sur toute l’étendue de sa tessiture, avec des aigus lumineux et des graves délicieusement chaleureux tout en gardant une grande fluidité entre les registres. C’est néanmoins par ses prouesses vocales qu’il triomphe, saisissant l’auditeur de sa virtuosité, le captivant par sa présence expressive. Il prend un grand plaisir à jouer et à vocaliser de façon spectaculaire : cela se voit et s’entend et ne peut laisser insensible tout amateur de splendides artifices vocaux. Cette virtuosité se met également au service de l’expressivité et d’un phrasé étiré. Le spectateur ne peut que retenir son propre souffle lors de sa cadence (formule finale), de peur de manquer ne serait-ce qu’un seul de ces ornements et de ces silences où le temps semble s’être arrêté.
Le ténor Philippe Talbot, par ses quelques interventions dans le rôle d’Everardo (père de Juliette), offre l’héroïsme de son jeu et la clarté de ses aigus, aussi délicats que maitrisés, particulièrement dans son air, malheureusement trop court, « La dai regni dell’ombre » (Là, dans les royaumes des ombres). En outre, l’énergie de l’orchestre semble trop souvent prendre le dessus sur sa voix. Les courtes interventions du ténor Marco Angioloni, la clarté de sa voix peu timbrée, donnent comme une touchante jeunesse à son personnage Gilberto (ami de Roméo).
Sous la direction animée, engagée voire dansante de Stefan Plewniak, qui insuffle son dynamisme jusqu’à descendre de son podium vers les musiciens, l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles se montre rayonnant d’énergie. Les pupitres des vents sont notamment dotés de quelques belles pages, particulièrement les hautbois et les clarinettes. Le petit chœur d’hommes ajoute également à la théâtralité de cette interprétation : de quoi se réjouir du privilège de pouvoir revivre ce triomphe grâce à la captation par les Productions de l’Opéra Royal et la prochaine édition de l’enregistrement dans le Label Château de Versailles Spectacles.