Les Arts Florissants, Cité de la Musique : du purgatoire au paradis avec Monteverdi
Du purgatoire au paradis, du profane au sacré, de l'ombre à la lumière, du streaming à la musique
Ce concert offre un spectacle à part entière et même quadruplement concordant : par sa disposition, son programme, son calendrier et bien entendu son interprétation. La disposition des lieux s'impose d'emblée comme une scénographie, même pour ce concert de mélodies polyphoniques a cappella, même et justement du fait de cette salle vide et plongée dans l'obscurité. Les chanteurs en noir et en cercle sur un cercle noir posé sur scène sont éclairés d'en haut, chacun dans l'auréole d'un projecteur à la verticale au plafond (représentant l'inspiration musicale divine). Des projecteurs au sol derrière eux font monter à la verticale leurs lumières orangées représentant l'espoir nourri par la musique de s'élever au-dessus de la condition humaine et actuelle. Ce cercle musical d'auréoles dans l'obscurité, entre Terre et cieux, entre chien et loup, entre fermeture et ouverture résonne avec la situation actuelle autant qu'avec le programme choisi : celui des "contrafacta", madrigaux (donc) profanes de Monteverdi adaptés (contre-faits) à des textes sacrés (par Aquilino Coppini). Une contre-façon (comme en contre-point) qui consiste à changer le texte profane italien en latin sacré, mais dans une réflexion rhétorique constante sur le rythme et le sens des mots : en adaptant et traduisant au mieux et au plus proche l'amour érotique vers l'amour religieux (comme ce ciel étoilé au-dessus des amants qui devient la voûte céleste des lumières divines, parmi bien d'autres exemples). Le concert résonne donc aussi avec le calendrier, trois jours après la Saint-Valentin, au lendemain du Mardi Gras, en ce Mercredi des Cendres (premier jour du Carême) marquant donc le passage de l'amour -de la bonne chère- au pieux amour dévot. Le tout en cette période où la culture est toujours condamnée au purgatoire de cérémonies secrètes sous la forme de concerts à huis clos.
Paul Agnew dirige les 10 chanteurs, ce qui est déjà en soi un choix tranché d'interprétation pour ces morceaux de tradition chambriste où les voix sont écrites pour se lancer et se répondre d'elles-mêmes dans une communauté d'autonomies. Toutefois, la battue est tellement énergique et investie, souple et bondissante de genoux et de mains qu'elle insuffle ses élans à chaque voix et les lie entre elles. Chaque ligne vocale est ainsi marquée et remarqué, dans le son commun. Les Arts Florissants offrent avec force la précision des phrases et l'ampleur de leurs accords dans l'éloquence d'un son coalisé comme dans la douceur de recueillements conclusifs : de la passion à la Passion. Les timbres de chaque tessiture sont bien caractéristiques : les basses graves et sombres, les soprani claires et aiguës, encadrant les ténors clairement couverts et projetés ainsi que les timbres suaves des contralti. Les paroles et les phrasés animés se répondent et s'aiment mutuellement, rappelant que ces œuvres à l'origine en italien chantaient le transport amoureux, mais démontrent aussi qu'elles peuvent illustrer la béatitude spirituelle et la concorde en latin.
L'orgue tenu par Florian Carré renforce dans des intermèdes les deux couleurs musicales riches et cohérentes de ce programme, le timbre et le souffle épris et religieux, emporté par une intensité agile, virtuose (rappelant aussi tout le "romantisme" préfiguré dans le répertoire baroque, sacré et des Arts Florissants).
Ce concert de madrigaux devenu cérémonie unifiant mystique et réjouissance résonne particulièrement en ces temps de culture moribonde, avant sa renaissance. L'ambiance de cérémonie religieuse (presque de messe clandestine à huis clos pour une poignée de professionnels ayant été consacré par un sacro-saint formulaire de dérogation professionnelle) est renforcée par l'alternance entre texte parlé, des solistes chacun leur tour récitant les traductions en français des morceaux ensuite chantés en latin. Le cérémonie se referme sur un très long silence, qui vibre et résonne encore de la musique donnée durant cette petite heure, de celle qui va se taire à nouveau, encore trop longtemps, avant de ressusciter.
Du purgatoire au paradis. En attendant, la sacrée cérémonie monteverdienne est à revivre en vidéo intégrale et Les Arts Florissants s'envolent vers un autre Eldorado : l'Espagne où ils peuvent donner ce concert devant un public.