Les Talens Lyriques et Christophe Rousset sauvent Lully à la Cité de la musique
À l’origine, Les Talens Lyriques devaient se produire dans cette même salle de la Cité de la musique pour un concert « Ballet royal » composé du Ballet royal de la naissance de Vénus (1665) de Lully et de La naissance de Vénus, (1696), rareté absolue de Pascal Colasse. Les circonstances actuelles maintenant les salles de spectacle closes, le projet de concert s’est transformé en enregistrement d’un disque. Seule la Vénus de Lully fut repêchée, à laquelle furent adjointes d’autres pages du maitre français: Le Ballet royal des amours déguisés, La plainte italienne extraite de Psyché, Le carnaval et la Chaconne d’Arlequin. Optant pour un programme exclusivement Lully, Christophe Rousset navigue en terrain bien connu ce qui lui permet de relever le défi d’une adaptation rapide (ce projet de disque ayant été décidé une semaine auparavant), et d’enrichir sa discographie consacrée à ce compositeur (drames lyriques: Isis, Alceste, Armide…).
L’enregistrement se déroule dans le strict respect des consignes sanitaires, les salles de spectacle et les artistes demeurant exemplaires à ce sujet. Le chef ainsi que tous les instrumentistes sont masqués (hormis les soufflants). Les solistes enlèvent leur masque une fois placés et les chanteurs du chœur interviennent du parterre, très espacés les uns des autres. Ce dispositif contraint le chef à diriger le chœur en étant de dos à l’orchestre, ce qui exige plusieurs prises afin d’assurer un ensemble irréprochable et procure une grande joie lorsqu’il est atteint.
Le Chœur de chambre de Namur poursuit ici sa collaboration avec Les Talens Lyriques et les treize chanteurs préparés par Thibaut Lenaerts obtiennent immédiatement un son homogène et clair dans le chœur « Quelle gloire pour la mer ». L’attention et les ajustements résident essentiellement sur la mise en place rythmique que ne facilite pas la disposition éloignée des chanteurs.
Entre les interventions du chœur, la soprano Bénédicte Tauran (Thétis) et le baryton Guillaume Andrieux (Neptune) déclament leur texte très précisément, la soprano ornant habilement sa ligne vocale. Philippe Estèphe incarne le « dottore » Barbacola de son riche timbre ténébreux avec beaucoup d’humour et ses quatre élèves (Deborah Cachet, Bénédicte Tauran, Cyril Auvity et Guillaume Andrieux) se délectent à lui répondre avec beaucoup de joie également. Ambroisine Bré et Samuel Namotte participent également à l’élaboration de cet enregistrement (leurs parties ayant été enregistrées la veille).
Christophe Rousset s’appuie sur un ensemble instrumental de haute qualité aux sonorités généreuses et à la dynamique rythmique enlevée. Il veille patiemment à la cohésion de l’ensemble, faisant reprendre certains passages plusieurs fois, préférant l’humour à l’impatience ou à l’énervement (« pour ce départ c’est le clavecin qui gagne toujours ! »), ce qui rend l’ambiance de travail sereine. La séance se déroule dans une grande concentration ponctuée des commentaires du chef ainsi que de ceux de Nicolas Bartholomée, fondateur et Directeur artistique du label Aparté musique.
Du temps de Lully la musique et la danse dépassaient le cadre de simple divertissement. « La danse et l’harmonie qu’elle symbolise par un cadre savamment réglé et hiérarchisé [montraient] la légitimité de la personne royale, la force de sa politique et les bienfaits qu’elle apporte à ses peuples » comme le rappelle le CMBV en définissant le ballet de cour. Sans nostalgie pour une quelconque royauté, reste à rêver que les gouvernants s’en inspirent afin de placer la culture au cœur des choix politiques, devenant ainsi une priorité.