Par Jupiter, Lea Desandre envoûte les Champs-Élysées
Une fois n’est pas coutume (ou plutôt une nouvelle fois pour ces comptes-rendus à huis clos ne sera -heureusement- plus coutume dès ce 15 décembre avec la réouverture des théâtres), les quelques spectateurs sont invités à s’installer en fond de scène (comme à l'Opéra Comique lors du premier confinement). Les musiciens sont placés à l’avant-scène, dos tourné à la salle, vide. L’occasion unique (comme lors de la Symphonie pour la vie au Châtelet) d’admirer le Théâtre des Champs-Élysées et sa coupole art-déco peinte par Maurice Denis.
L'Ensemble Jupiter avec deux violons, une contrebasse, un violoncelle et un théorbe se dispose en demi-cercle autour de la chanteuse Lea Desandre. Ce programme exploite pleinement la complicité de l'Ensemble et les riches possibilités d’orchestration de ce type de formation, en mettant chacun des instruments à l’honneur au fil des œuvres. Il est construit autour de grands compositeurs de la musique italienne baroque, Monteverdi et Haendel, avec des noms moins connus tels que Frescobaldi, Kapsberger et Vitali. Il permet en outre de découvrir trois compositeurs rares et que Lea Desandre interprète pourtant avec une grande maîtrise : Tarquinio Merula, Andrea Falconieri ou encore Juan Ambrosio Dalza.
Dès le début du concert avec Si dolce e tormento de Monteverdi (grand classique des interprètes baroques), et même dès les premières notes, la chanteuse touche par sa douceur, son aisance et sa souplesse vocale. Telle une artiste peintre, Lea Desandre varie les couleurs et les affects en touches délicatement assumées. Elle sculpte les lignes mélodiques en prenant parfois des risques techniques (y compris dans le pianissimo et mezza voce) : tantôt d'une infinie douceur dans le registre aigu, tantôt d'une coloration plus franche dans le bas médium, mélangeant très adroitement le registre de poitrine.
L’ensemble instrumental lui répond avec sa créativité, en variant à merveille les différentes « orchestrations » laissant la part belle à chaque musicien. Une interprétation inspirée notamment dans les pièces instrumentales déploie l'aisance d'une improvisation : tous se répondent en se détachant de la partition pour s'approcher de la musique et se l'approprier. Le fameux Ombra mai fu de Haendel s'offre ainsi dans cette concorde retenue qui suspend à la phrase musicale, avec une simplicité faite de délicatesse.
Les quelques enchaînements entre certaines pièces vocales et instrumentales glissent d’un morceau à l’autre sans heurt, dans la tradition des musiciens napolitains. Le programme se déroule avec la même délicatesse et inspiration. La Lettera amorosa de Monteverdi (8 minutes tout de même) passe en un éclair dans l'intensité du récitatif, la quintessence d’une déclaration dans un italien maîtrisé qui enchaîne sur les guirlandes de vocalises égrainées avec une agilité contrôlée dans Frescobaldi.
Les pièces de Tarquinio Merula illustrent la maîtrise de l’ensemble : chaque soliste démontrant ses qualités en prenant la parole (musicale) tour à tour dans le style concertate, cher à ce compositeur. Lea Desandre chante assise sur le bord de la scène, tournant le dos à l'assistance et la voix parvient alors lointaine et irréelle.
Le concert se termine par un feu d’artifice musical avec la pièce de Monteverdi Quel sguardo sdegnosetto. Les lignes et les diminutions fusent comme des flammes de joie. Le tempo choisi est vif et entrainant, elle esquisse quelques pas de danse, et Jupiter l'emporte.
Ce concert inaugure un Festival numérique filmé sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, grâce au mécénat de la Caisse des dépôts :
Le concert de l'Ensemble Jupiter sera diffusé à partir du 8 décembre
Local Brass Quintet poursuivra la série de retransmissions à partir du 14 décembre
Ensemble Correspondances donnera un Gala Lully à partir du 21 décembre
Côté Danse, le spectacle Be girl de Valentine Nagata Ramos sera pour sa partir diffusé via Culturebox en direct le 17 décembre à 19h30
Amala Dianor - The Falling Stardust est à retrouver en ligne à partir du 5 janvier
Tarek Ait Medour - Résister à partir du 8 janvier