"La brise va souffler" : Lea Desandre insuffle vie et jeunesse aux Nuits d'été à l'Opéra de Rouen
La mezzo-soprano Lea Desandre ouvre donc la soirée avec Les Nuits d'été de Berlioz. C'est un pari ambitieux, comme elle l'explique elle-même en interview, car les références aux disques sont nombreuses et bien d'autres mezzo-sopranos plus aguerries en ont fait leur cheval de bataille. La chanteuse a pourtant des atouts à faire valoir. D'abord la voix : légère et souple, l'interprète la maîtrise et peut en varier l'intensité avec le souffle, ce qui lui donne un son toujours vibrant et libre. Le timbre n'a peut-être pas de couleur très individualisée mais la détente du visage et du corps de la chanteuse même dans les passages les plus tendus fait qu'elle ne force jamais ses moyens. L'aigu est rond, le medium agréable et le grave prend de belles couleurs cuivrées surprenantes.
La prononciation, en outre, est limpide et expressive sans effort visible d'articulation, avec des « r » roulés qui rendent les mots compréhensibles. Enfin toutes ces qualités sont mises au service du texte et de ses intentions (partageant avec Véronique Gens, avec laquelle Lea Desandre a travaillé le cycle,l'intelligence des mots). La jeunesse de l'interprète et le naturel de sa présence s'épanouissent ainsi dans "La Villanelle" (pourtant parfois sacrifiée par les chanteuses) et dans "L'Île inconnue" : le charme y est avec ce qu'il faut de légère dérision. Le dramatique "Au Cimetière" est également très incarné, en une histoire d'épouvante racontée avec vivacité. Dans "Absence", un léger manque d'autorité de la voix dans les éclats de la plainte, n'empêche toutefois pas la mélodie de rester habitée et musicale.
La direction de Ben Glassberg semble aller dans le même sens : les tempi sont rapides et l'orchestre suit le contraste des intentions, sacrifiant cependant une part de poésie, par exemple dans la phrase des flûtes et de la clarinette qui ouvre "Le Spectre de la Rose", et des piani un peu moins francs et mystérieux. Cependant l'ensemble forme un cycle, remarquablement maîtrisé vocalement et artistiquement sans que ce soin ne vire au maniérisme, bien au contraire. De quoi souhaiter à la jeune chanteuse que ces mélodies l'accompagnent longtemps.
La guitare de Thibaut Garcia succède à la voix de la mezzo pour le Concerto d'Aranjuez. Le guitariste, qui fait un brillant début de carrière, a enregistré l'œuvre avec Ben Glassberg et l'Orchestre du Capitole pour Erato. Ce sont donc des retrouvailles : le musicien semble très à l'aise dans cette musique même dans ses passages les plus virtuoses et il fait de l'Adagio un beau moment mélancolique. Il est soutenu par le chef toujours attentif et l'orchestre, très sollicité dans les diverses interventions solistes avec parfois des unissons des cordes que l'auditeur pourrait souhaiter un plus ronds et nets.
Enfin l'Ouverture en mi mineur de Louise Farrenc (1804-1875) permet de (re)découvrir la musique orchestrale d'une compositrice de talent qui fut également pianiste et professeure au Conservatoire de Paris. Il y a quelque chose d'un héritage classique dans l'équilibre de la composition et l'usage modéré des cuivres mais un souffle plus dramatique vient animer l'ensemble de quelques minutes d'une véritable tension. L'orchestre sous la baguette du chef rend pleinement justice à l'œuvre et invite à saluer l'initiative de cette programmation.
Une heure de jeunesse, d'été et d'émotion au cœur de l'automne et du Covid, qui ne se refuse pas !
Retrouvez notre compte-rendu et la vidéo intégrale du premier concert retransmis dans cette série par l'Opéra de Rouen (La Clémence de Titus) et rendez-vous vendredi soir prochain pour la suite.