Le Palazzetto Bru Zane lance l'année Saint-Saëns avec Le Timbre d'argent
Une redécouverte après un siècle d’oubli
Le Timbre d'argent dort. Tel semblait être le triste destin de cet opus, comme d’une douzaine des treize opéras composés par Camille Saint-Saëns (1835-1921) dont on ne semblait plus connaître que Samson et Dalila. Or, précisément, le Palazzetto Bru Zane a été fondé en 2009 non pas seulement pour constater mais pour agir.
Des travaux de recherche en étroite collaboration avec l'édition de partitions, jusqu'à la représentation sur scène et à l'enregistrement, permettent de ressusciter et d'immortaliser des gemmes oubliées. Le Timbre d'argent est ainsi le nouvel exemple ayant suivi ce parcours et bénéficié de tout ce travail, de concert.
Retrouvez notre grand dossier dans lequel les acteurs de ce projet vous présentent les 10 ans d'action du Palazzetto Bru Zane
Tout ce travail permet ainsi de ressusciter et de réhabiliter le patrimoine français : aussi bien pour les artistes méconnus et oubliés que pour les œuvres oubliées de compositeurs connus, et même d'autres versions de chefs-d'oeuvre absolus.
Faust de Gounod, version d'origine : le jeu des 7 différences dans le précédent livre-disque
Remettre sur le devant de la scène des opus, des compositeurs et des compositrices (car le projet du Palazzetto Bru Zane se conjugue activement au féminin), les catalogues et répertoires délaissés, autant d’action pour leur donner une seconde chance (voire une première, certaines œuvres n'ayant pas même été données devant un public). Le Timbre d'argent a ainsi pu enfin retrouver la scène (en 2017) et peut même être ainsi enregistré pour la première fois : dans ce 25ème livre-disque consacré à un opéra français (6 autres étant dédiés à la collection « Prix de Rome » et 5 autres à la collection « Portraits »).
Timbre d'argent, œuvre en or
Le livre-disque grave ainsi dans le papier et le sillon cette résurrection : "Quand sonne l'heure de la découverte" comme l'écrivent Agnès Terrier (conseillère artistique et dramaturge de l'Opéra Comique où a été ressuscité Le Timbre d'argent) et Alexandre Dratwicki (Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane) dans la préface de l’ouvrage.
L'occasion de montrer les différentes recompositions de l'oeuvre sur un demi-siècle (1864-1914). D’autant que cet opus multiplia peut-être comme aucun autre ouvrage lyrique du XIXe siècle "les occasions de révéler l'originalité d'un auteur tout en laissant, à chaque fois, passer sa chance". Le livre se poursuit. Marie-Gabrielle Soret détaille la genèse du Timbre d'argent. Hugh Macdonald en retrace les transformations et Gérard Condé montre que ce premier opéra de Saint-Saëns est "bien plus qu'un galop d'essai".
Tous ces textes de présentation, d'analyse ainsi que le livret en intégralité sont également traduits en anglais. Enfin, le livre comprend également un mot de l'auteur, Saint-Saëns en personne.
Le Palazzetto Bru Zane donne une nouvelle chance, plusieurs même avec cet enregistrement (le choix s'est porté sur la version révisée pour la Monnaie en 1913 car elle contient le plus de pages musicales, notamment avec récitatifs plutôt que dialogues parlés : destin également suivi par la Carmen de Bizet). De quoi apprécier la riche diversité de la partition qui allie le plaisir de la chanson avec un souffle symphonique (la plus longue ouverture composée par Saint-Saëns), et même le fantastique. De quoi traduire ce Conte Faustien (20 ans avant Les Contes d'Hoffmann d’Offenbach), une nouvelle histoire de pacte avec le diable : le peintre Conrad reçoit un timbre (une cloche) en argent pour obtenir de l'or pour décrocher l'amour de Circé (mais une victime "au hasard" mourra à chaque fois).
Ce demi-siècle de travail passé par Saint-Saëns sur cet opéra (et son intérêt conservé un siècle après le décès du compositeur) prouve que Saint-Saëns tenait à son oeuvre et que les théâtres voulaient y croire aussi. Le Timbre d’argent aura ainsi été à la fois le premier et le dernier opéra de Saint-Saëns (ce fut d’ailleurs exactement la même chose pour Haendel dont Le Triomphe du Temps et de la Désillusion est à la fois le premier et le dernier oratorio par le jeu de recompositions durant un demi-siècle également).
Une riche partition
Le Timbre d'argent est un opéra fantastique, dynamique et contrasté déployant de grandes variétés de styles s'enchaînant avec rapidité. Saint-Saëns, reconnu pour sa maîtrise de tous les paramètres sonores, met toute la richesse de l'orchestre et de la voix au service des univers variés que parcourt cette intrigue féerique. L'ouverture remplit son rôle traditionnel en présentant d'emblée un résumé de l'opéra avec les thèmes musicaux et les ambiances, pour former ici une pièce symphonique à part entière, très longue (plus de 12 minutes) et variée. L’action est cinématographique (rappelant que Saint-Saëns fut le premier compositeur de film dans l’histoire du cinéma) : par le rythme de cavalcade qui dynamise l’action, par la richesse de l’orchestration qui donne la dimension fantastique. L’ouverture combine immédiatement contrepoint, contre-chant, jeux (tel ce contraste entre pointés des flûtes et grands élans souples des cordes) ponctués de percussion. Le deuxième épisode de l’ouverture présente sans attendre un grand contraste avec le précédent et en soi, unifiant fantastique-diabolique/amoureux-élégiaque.
Poursuivant immédiatement dans cet opéra de contrastes, l'ouverture est d'emblée suivie par un joyeux chœur à boire et une triste complainte de ténor, entre fête et maladie, rires et larmes qui structurent de nombreux chefs-d'œuvres lyriques (Traviata, Werther, et tant d'autres). D'autant que le drame s'ouvre sur "Une nuit de Noël, à Vienne. Un jeune peintre de talent" (rappelant La Bohème qui se passerait en Autriche plutôt qu'à Paris). Ici encore la quête d'amour entraîne littéralement la mort, le timbre d'argent faisant sonner le glas.
Saint-Saëns maîtrise les timbres, l'instrumentation (choix de l'instrument pour une mélodie) et l'orchestration (leur combinaison). Il déploie une palette de couleurs orchestrales allant de la délicatesse d'un long solo instrumental aux grandes masses orchestrales post-romantiques, le tout avec une prosodie marquée. Saint-Saëns (même s'il s'en serait un peu défendu durant son époque patriotique) est ainsi un musicien européen, avec l'orchestre germanique, le bel canto italien et le raffinement français de la langue. Les caractères naviguent entre cordes bondissantes et graves coups de timbales, longues tenues et contre-temps, mélodies à l'unisson et contre-chants, annonçant les contrastes entre mélopées amoureuses, airs diaboliques et grandes plaintes dramatiques : autant d'épisodes s'enchaînant à plusieurs reprises dans le livret). Les chœurs basculent de l'ivresse au deuil, plongent ensuite dans les rythmes effrénés d'une danse de l'abeille, le chant du Carnaval vient couper une triste et terrible malédiction, le chant de fête résonnant avec le malheur.
Les timbres se composent aussi grâce aux riches harmonies, là encore parcourant un large spectre. Les mélodies sont parfois même assurée par l'orchestre, le chant conservant sa note tandis que les couleurs changent en fosse. De simples tenues et d'infimes mouvements mélodiques suffisent ainsi à opérer de grandes modulations (une caractéristique du post-romantisme français qui trouve de grand contrastes par des moyens délicats).
Le chant peut ainsi être une parole très simple, aussi bien qu'un grand épisode lyrique. L'orchestre soutient aussi le grand lyrisme rapprochant d'une tradition bel canto, affirmant la place de l'opus sur les scènes d'opéra. L'art de Saint-Saëns pour les mélodies françaises grandit en dimensions lyriques (comme dans l'air de malédiction puissant avec délicates articulations rimées).
L'ampleur et la longueur des accords et des phrasés, tout en souplesse, soutient le traditionnel chant d'amour entre ténor et soprano, ici entre Conrad et Hélène qui rappellent Faust et Marguerite, Hoffmann et ses passions. La musique se compose généralement sur l'opposition des figures et sentiments simples avec la complexité métaphorique de l'harmonie et de l'orchestre.
L'enjeux dans cette quête de richesse, plongée dans le rêve, de métamorphose en objets magiques est ce fantastique qui se retrouve dans les choix de timbres, illustrant le timbre d'argent, un ruisseau d'or, des diamants (comme dans la cassette de Marguerite).
Un livre-disque avant une année Saint-Saëns
Le Palazzetto Bru Zane avait déjà illustré les richesses du catalogue de Saint-Saëns, lui consacrant les livres-disques Proserpine, Les Barbares, Camille Saint-Saëns et le prix de Rome, plus d'une douzaine de disques récitals, une trentaine de partitions ainsi que l’ouvrage scientifique Camille Saint-Saëns, le compositeur globe-trotter mais également un livre de correspondance entre Camille Saint-Saëns et Jacques Rouché : entre 1913 (date où Jacques Rouché devient Directeur de l'Opéra de Paris) et 1921 marquant le décès de Camille Saint-Saëns.
Saint-Saëns est d'ores-et-déjà richement présent dans la bruzanemediabase avec 146 images, 88 fiches d’œuvres présentées, 3 thèmes (La mélodie avec orchestre Instruments à cordes – Le violoncelle romantique Opéra – L’opéra en France au XIXe siècle), 6 colloques, 19 études, 3 livrets, 71 articles de presse, et 9 documents (lettres, programmes) en croissance continue. Outre le livre-disque du Timbre d'argent, le livre de caricatures Croquer Saint-Saëns paraîtra chez Actes Sud ainsi que l'ouvrage Camille Saint-Saëns visionnaire, artisan et expérimentateur. Le Timbre d'argent a bien entendu également sa page dédiée sur cette médiabase, avec présentation, images, livret, études, articles de presse.
Le Timbre d'argent brille ainsi au cœur du cycle Saint-Saëns, organisé par le Palazzetto Bru Zane sur la saison 2020/2021. Le centenaire de la mort du compositeur sera célébré en parcourant l’ensemble de son œuvre : opéras, musique de chambre, mélodies, symphonies, oratorio, poèmes symphoniques, œuvres concertantes, concertos.
La saison entière sera rythmée par un immense cycle Camille Saint-Saëns à travers l’Europe. Le premier concert est programmé le 26 septembre dans le cadre du Cycle "Camille Saint-Saëns, l’homme-orchestre" donné à Venise, en la Scuola Grande San Giovanni Evangelista avec les quintettes romantiques, suivi au Palazzetto Bru Zane par des duos piano-violoncelle puis des duos piano-violon et enfin les quatuors. Le ténor Cyrille Dubois et le pianiste Tristan Raës chanteront L'évasion mélodique. Deux conférences sont également au programme : “Camille Saint-Saëns et les origines de la musique de film” et “L'Art pour l'Art”. Tous les concerts du festival vénitien seront ensuite exceptionnellement retransmis en direct depuis le site web du Palazzetto Bru Zane, puis disponibles ensuite à la demande sur Bru Zane Replay.
De décembre à mai, la musique de Saint-Saëns et l’action du Palazzetto Bru Zane voyagent en Allemagne avec Déjanire au Prinzregententheater de Munich, Frédégonde à Dortmund et Les Barbares à Leipzig. La très attendue production d’Henri VIII monte à la Monnaie de Bruxelles en avril-juin. L'oratorio The Promised Land sera ressuscité en juin à la Halle aux Grains de Toulouse et à la Philharmonie de Paris. Enfin, en point d’orgue Phryné, sera joué à l’Auditorium du Musée du Louvre.
Le Timbre d'argent et a fortiori cette version finale enregistrée par le Palazzetto Bru Zane montre ainsi à la fois le début et l'aboutissement du métier de Saint-Saëns : la marque d'un demi-siècle de carrière dans cet opéra composé tôt et revu longtemps (par son compositeur et désormais grâce au livre-disque du Palazzetto Bru Zane).