Nabucco version péplum en film muet gravé aux Arènes de Vérone
Des armées entières de soldats à pied et à cheval, des civils et la Croix-Rouge courent de toutes parts parmi les barricades, les explosions dans les gradins et même des chariots de feu, le tout autour d'un immense palais tournant (et des boules enflammées se mettront même soudainement à traverser la scène) ! Ce Nabucco de Verdi mis en scène et costumé par Arnaud Bernard (scénographie d'Alessandro Camera, lumières de Paolo Mazzon), est un spectacle visuel impressionnant, à la mesure de l'immensité et de l'histoire d'un lieu unique : les Arènes de Vérone. L'immense palais autour duquel tourbillonne ce péplum et pour lequel se battent les soldats s'ouvre même en tournant, pour révéler deux nouveaux plateaux-tableaux impressionnants et confirmant le parti-pris du metteur en scène qui replace l'œuvre à l'époque de sa composition : il ne s'agit plus des Hébreux prisonniers des Babyloniens sous Nabuchodonosor dans la Bible, mais de l'Italie occupée par l'Autriche à l'époque de Verdi, au milieu du XIXe siècle. Rapport pertinent bien entendu, car lorsque Verdi choisit cette histoire antique, c'est pour dénoncer la situation italienne de son époque (en contournant la censure). Les soldats et les combats de cette mise en scène représentent ainsi des italiens brandissant d'immenses drapeaux et résistant à l'occupant autrichien en uniformes, le palais révèle en tournant son intérieur (lieu de manipulations et de stratagèmes), puis il représente -vision stupéfiante- l'intérieur de La Scala de Milan ! Cette production offre ainsi un nouvel exemple modèle de théâtre dans le théâtre, d'un épisode historique porté sur la scène : les Arènes de Vérone abritent La Scala, avec les choristes de 2017 jouant un chœur du XIXe qui joue lui-même le chœur d'hébreux en train de chanter le Va pensiero devant le public de La Scala luttant (les italiens du paradis jettent des papiers vert-blanc-rouge sur les soldats autrichiens au parterre). Le Chœur des Arènes de Vérone (direction Vito Lombardi) se hisse à la hauteur de cet air légendaire et il est justement bissé.
Indéniablement, le spectacle "en met plein les yeux", mais pas les oreilles : le grand show est fait pour être vu de loin, apprécié depuis les arènes, car en vidéo les figurants sont montrés de près et, pour ne pas perturber la musique, ils s'agitent sans émettre un son, comme de vieux personnages d'un film muet. Les gros plans permettent certes d'apprécier le riche détail des costumes, campant chaque figurant comme un personnage (soldat ou civil), mais les grandes gesticulations et les mimiques (toujours parfaitement silencieuses) sont excessivement exagérées à l'écran puisqu'elles sont faites pour être vues de loin.
Inéluctablement, il en va hélas de même pour les voix solistes : elles sont projetées très largement pour être entendues de loin dans l'immensité d'une arène et les micros à proximité captent d'immenses vibratos (pour porter) et des timbres acides (pour percer) dans une prosodie exagérée (pour articuler). La largeur et la largesse des voix écarte des notes et empêche de saisir les lignes.
L'essentiel des phrases d'Abigaille (campée par Susanna Branchini) est ainsi tendu. La soprano dispose pourtant de quelques sons adoucis en début de phrase ou retenus enfin. Rubens Pelizzari (incarnant Ismaele) a sans doute la force du rôle et d'un registre spinto (italien appuyé). George Gagnidze dans le rôle-titre tire ses accents vers les à-coups. Il sait pourtant être hiératique et force est de constater qu'il incarne le rôle à mesure qu'il s'adoucit, qu'il s'imprègne de la chute d'un personnage blessé, au point d'en devenir émouvant. Les autres rôles, au contraire, peinent à passer en video, rappelant combien une production en plein air (a fortiori enregistrée) peut être un lit de Procuste : demandant des voix très larges pour les laisser passer, mais renforçant leurs excès sonores en "zoomant" dessus.
Dès lors, c'est Rafal Siwek (Zaccaria) qui tire son épingle du jeu avec le juste équilibre, enchaînant les premières interventions solistes de l'œuvre avec aplomb et la noblesse d'une basse verdienne renommée et d'un Grand prêtre de Jérusalem. Son retour s'opère avec une complainte lyrique longue en bouche et en souffle, et il finit même en triomphal Moïse avec tige et bâton.
L'autre triomphateur du Blu Ray, placé sous la baguette de Daniel Oren, est l'Orchestre des Arènes de Vérone, bien plus enthousiasmant dans ses cavalcades que les vrais chevaux sur scène, plus puissant que les explosions dans les gradins, mais aussi doux que la complainte des fameux violoncelles verdiens.