Au Panthéon de Frédéric Lodéon
Ces enregistrements m’ont touché immédiatement. Ils sont pour toujours au cœur de ma vie
Le premier album est dominé par le génie du violoncelliste et grand ami de Frédéric Lodéon : Mstislav Rostropovitch, avec le Finale du Concerto en si mineur de Dvořák. La légende est fort bien entourée par des interprètes exceptionnels. Les choix sont ensuite affaire de goût, ils se légitiment et il s'agit du Panthéon de Lodéon : intronisant le violon de Jascha Heifetz et Tedi Papavrami (plutôt que Yehudi Menuhin, mais qui reviendra sur le disque symphonique en tant que chef d'orchestre !), le piano de Martha Argerich (plutôt que Sviatoslav Richter), mais aussi d'autres instruments : la trompette sans pareille de Maurice André, la clarinette de Michel Portal, la flûte de Jean-Pierre Rampal, la harpe de Lily Laskine et le clavecin d'Andreas Staier.
L'album dédié à la musique de chambre, centré sur le répertoire romantique (avec une excursion chez Haydn d'une part, Ravel de l'autre) offre des noms rêveurs : Stern, Casals, Tortelier, Rubinstein, Beaux Arts Trio, Amadeus Quartet, Belcea Quartet, Quatuor Modigliani. La musique symphonique propose ensuite un voyage à travers les meilleurs ensembles historiques de Vienne, Paris, Berlin et Boston avec bien entendu Harnoncourt, Muti, Karajan, Kleiber, Janowski, Charles Munch et Georges Prêtre.
Vient enfin l'occasion de se pencher sur le Panthéon vocal qui porte la patte de Frédéric Lodéon, dès le premier air. Le musicien choisit en effet la voix masculine, celle qui a le même registre que son instrument le violoncelle, et pour un air de bon vivant. Le baryton-basse français Gabriel Bacquier (1924-) en Leporello vante en effet le catalogue des conquêtes de son maître Don Giovanni.
Mais derrière le gentil nounours, il y a l'âme sensible, comme cet album qui passe de l'air libertin par excellence au "Spectre de la rose", sommet de délicatesse recueillie parmi Les Nuits d'été de Berlioz, sommet du répertoire musical également, dans l'interprétation de la légendaire Régine Crespin, qui pouvait tout chanter par sa subtilité puissamment vibrée.
L'auditeur n'a pas appuyé par mégarde sur la touche shuffle de son lecteur, les airs aléatoires balayent simplement l'histoire et les styles au gré des envies de Lodéon. Aléatoires certes, mais une compilation de tubes et même d'interprétations historiques, même ceux aussi récents que le grand air du Werther de Massenet "Pourquoi me réveiller" marquant le triomphe français de Jonas Kaufmann puis, dans un tout autre genre mais tout aussi génial, Philippe Jaroussky par "Sol da te, mio dolce amore" d'Orlando furioso (Vivaldi).
L'album passe de l'orchestre au piano, du français à l'italien, à l'allemand et de l'opéra à la mélodie avec le maître du Lied : Dietrich Fischer-Dieskau et son pianiste Gerald Moore, ouvrant le chef-d'œuvre absolu du maître du genre (Le Voyage d'hiver de Schubert). Dans le répertoire germanique, un grand écart sera ensuite fait avec l'immense Wagner et la voix impressionnante de José Van Dam pour Le Vaisseau fantôme accompagné par l'Orchestre national de Lille et Jean-Claude Casadesus. Un morceau d'anthologie après la délicieuse douceur sur le duo des fleurs (Mady Mesplé et Danielle Millet dans Lakmé de Léo Delibes).
Bien évidemment, un Panthéon ne saurait exister sans Luciano Pavarotti et Maria Callas. Le ténor déploie sa version légendaire du Tosca de Puccini : "E lucevan le stelle". Pour la soprano de légende, Frédéric Lodéon a fait le choix très judicieux de Carmen, non pas avec la Habanera mais pour le finale de l'œuvre, qui permet de fait d'entendre un autre artiste de légende : Nicolas Gedda, le tout avec l'Orchestre de l'Opéra national de Paris dirigé par Georges Prêtre.
Ce choix de résumer l'art lyrique en 10 pistes soulèvera forcément des réactions, débats et querelles, chacun ayant son Panthéon. Mais pour vouloir ajouter une version historique à ce Top 10, il faudrait en enlever une autre incroyable. Certes, mais un nom semble toutefois cruellement manquer à l'appel : celui du chanteur de légende sur lequel l'histoire de l'opéra enregistré est fondé : Enrico Caruso avec "Una furtiva lagrima". D'autant que cet air de L'Élixir d'amour est présent sur le disque, interprété par Roberto Alagna (ce n'est pas lui faire offense que de dire qu'il n'est pas panthéonisé).
Mise à jour du 26 juin 2020 par un Communiqué de France Musique :
"Frédéric Lodéon a décidé de mettre un terme à sa carrière radiophonique. Il ne présentera plus Carrefour de Lodéon, la plus populaire des émissions de musique classique qui était diffusée chaque dimanche de 14h à 16h depuis le 1er septembre 2019, après l’avoir animée quotidiennement pendant 28 ans sur France Inter, puis sur France Musique.
Dimanche 28 juin sera la dernière de Carrefour de Lodéon mais Frédéric Lodéon sera l’invité spécial de Clément Rochefort le lundi 29 juin à 8h dans Musique Matin."