Jean Castex estime difficile de donner de la visibilité au monde de la culture
Quelques heures après le rejet par le Conseil d'Etat du recours déposé par plusieurs dizaines d'institutions culturelles, le Premier Ministre Jean Castex a publié une lettre au monde de la culture. Sur trois pages comportant de nombreuses redites, il répète à l'envi l'importance que revêt la culture à ses yeux et l'importance des aides octroyées au secteur. Expliquant vouloir "préciser les raisons" l'ayant conduit à "laisser fermés les établissements culturels recevant du public", il n'apporte pourtant aucun argument nouveau, ne répond à aucune question posée par le secteur et ne permet toujours pas de comprendre quelle est la stratégie du gouvernement pour les prochains mois, en attendant que la population puisse être vaccinée dans des proportions suffisantes pour faire reculer l'épidémie.
C'est même par un argument auparavant balayé par lui-même, le Président de la République et la Ministre de la Culture (mais aussi le Conseil d'Etat) qu'il démarre son argumentaire. "Bien sûr, nos mesures de fermeture ont été adoptées en fonction de la nature des établissements, avec une gradation liée à l’importance du risque", déclare-t-il, comme si les salles de spectacle avaient été identifiées comme fortement vectrices de contamination. Plus étonnant encore, il poursuit : "Il apparaît au regard des études scientifiques* disponibles, que malgré le port du masque, plus la durée de présence dans un lieu clos est importante, plus le risque de contamination y est élevé, a fortiori si la ventilation des locaux ne répond pas aux normes les plus récentes", un renvoi vers une note de bas de page inexistante aiguisant la curiosité quant aux études scientifiques mentionnées. Cet argument, alors même qu'aucun foyer de contamination n'a été identifié dans une salle de spectacle durant les trois mois et demi d'ouverture, mériterait pourtant d'être étayé. D'autant que la Philharmonie de Paris publiait il y a peu une étude menée par Dassault Systèmes contredisant cette dangerosité. Surtout, les protocoles sanitaires, qui semblaient initialement impraticables, sont mis en œuvre et respectés, offrant un niveau de sécurité sanitaire bien supérieur à de nombreux secteurs pourtant ouverts.
"Le nombre de nouvelles contaminations constatées ne se réduisait plus -il repartait même à la hausse- et la pression hospitalière demeurait forte. Les conditions d’une réouverture n’étaient donc pas réunies", poursuit-il sans répondre aux interrogations des professionnels du secteur sur la raison de maintenir les salles fermées, mais de garder ouverts tous les autres secteurs, qui sont ceux par lesquels les contaminations surviennent (les salles closes ne pouvant être tenues responsables des mauvais chiffres qui motivent pourtant leur fermeture). "La finalité poursuivie par tous nos dispositifs de lutte contre les vagues épidémiques vise en effet un même objectif : réduire la circulation, le brassage et la concentration des personnes. C’est par la fermeture d’établissements ou de lieux de destination que l’on peut réduire les motifs de déplacements et inciter nos concitoyens à rester chez eux", argumente-t-il sans tenir compte, une fois encore, des critiques qui s'élèvent pour pointer du doigt le fait que la culture génère des flux infimes comparés aux secteurs dont l'ouverture n'est pourtant pas remise en cause et alors même qu'un seul centre commercial brasse plus de personnes que tous les lieux de culture parisiens réunis.
Il poursuit : "Nos voisins en font l’expérience, tout relâchement dans la limitation des brassages augmente le risque de voir le virus prospérer. Plusieurs pays ont ainsi été contraints, ces derniers jours, de durcir leurs mesures sanitaires face au rebond de l’épidémie. Dans la très grande majorité des pays européens, les lieux culturels sont fermés ou ont dû refermer récemment". Il convient toutefois de préciser que certains pays comme l'Espagne ou Monaco ont fait le choix fort de laisser leurs salles de spectacle ouvertes. Dans de nombreux autres pays, les salles de spectacle sont fermées dans un contexte de reconfinement global, à même de faire chuter les chiffres de contamination, contrairement à la France qui a annoncé son déconfinement en même temps que la prolongation de la fermeture des salles.
Autre argument déjà mis en avant dans de précédentes interventions : "Nous avons considéré que rien n’aurait été pire que de rouvrir pour refermer tout début janvier". Les directeurs d'opéra que nous avons interrogés ne disent pas le contraire, mais indiquent que la raison à cela est leur besoin de visibilité. Or, sans avoir apporté la moindre explication préalable sur ce point, Jean Castex conclut : "Voilà pourquoi, alors que vous nous demandez de la visibilité sur les prochaines échéances, voire une date de réouverture ferme et définitive, il sera dans les prochaines semaines difficile de vous donner satisfaction".
Reprenant la promesse de Roselyne Bachelot, Jean Castex indique que "la Ministre de la culture vous a proposé de travailler à la construction d’un modèle résilient pouvant fonctionner pour les prochains mois, jusqu’à ce que la pression épidémique soit redescendue et que nous puissions rouvrir tous les lieux de culture dans les conditions habituelles. Dans l’intervalle, et ainsi que certains de vous l’ont proposé, il nous semble possible d’élaborer des scénarios permettant de définir, pour les prochains mois, les modalités d’ouverture graduée de vos structures, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire". Si cette idée, encore très floue, semble arriver bien tardivement, après neuf mois de crise, elle offre en tout cas au secteur une planche de salut à laquelle se raccrocher.
Au lendemain de mes échanges avec les représentants du cinéma et du spectacle vivant et alors que le Conseil dÉtat a confirmé les décisions difficiles prises par le Gouvernement, jai écrit à ceux qui font vivre la Culture en France. L'État a été, est et sera au rendez-vous. pic.twitter.com/bcVx3bL2sC
— Jean Castex (@JeanCASTEX) 23 décembre 2020