Concert re-confiné à la Philharmonie de Paris, nous y étions
Le 28 mai dernier, nous assistions et rendions déjà compte d'un concert dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, vide. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, ce concert suscite les mêmes sentiments paradoxaux : le plaisir et la tristesse de retrouver la musique en ces temps où elle se perd. La France se déconfinait alors, elle se reconfine aujourd'hui, pourtant les théâtres étaient alors aussi vides et fermés qu'aujourd'hui mais les transports en commun et les rues pour ne pas les rejoindre étaient alors presqu'aussi vides, bien davantage en tout cas que les métros emplis et les attroupements aux portes de Paris faisant aujourd'hui presque douter que la France est confinée, faisant en tous les cas douter de l'efficacité du confinement (sauf pour la culture vivante et autres "commerces non essentiels").
La Philharmonie de Paris, comme d'autres salles à travers le pays et le monde, maintient vaille que vaille une infime mais vitale part d'activités artistiques. (Mal)Heureusement, l'institution était prête à jouer en temps de confinement et sera prête à continuer même si le confinement se prolonge, grâce à son système de diffusion en ligne et à la reconfiguration de sa salle (modernité et dimension modulable dont rêve justement l'Opera de Paris). Les sièges du parterre ont été ôtés, dans une configuration prévue dès la conception de cette salle (mais pour augmenter la jauge en configuration debout et certainement pas en prévision de l'imprévisible crise sanitaire). L'avancée de la scène sur le parterre (que l'Opéra de Rouen a dû bâtir pour un Tannhäuser finalement impossible) permet de distancier les instrumentistes non seulement aux dimensions de l'orchestre Mozartien mais même Mahlérien et d'espacer encore davantage le hautboïste puis la soprano soliste. Pour éviter tout malheur pour Mahler, de grands panneaux de plexiglas viennent dresser un mur sanitaire entre les vents et les cordes (masquées).
La cheffe d'orchestre, la Maestra (titre qu'elle a récemment décroché au Concours homonyme en cette même salle) réunit et nourrit les élans et les masses orchestrales en une cohérence d'intention et de rendu sonore malgré cette distanciation des musiciens. Sa direction aérienne (baguette relevée vers le ciel) et lestée (rebonds corporels ancrés) encourage et accompagne aussi bien le classicisme des formes et des phrases Mozartiennes que la riche diversité de registres Mahlériens. Toutefois, sa technique gestuelle demeure symétrique, quelque fois parallèle : les deux mains (l'une nue l'autre avec baguette) font ainsi les mêmes gestes, privant la direction de la moitié de ses possibilités esthétiques. De fait, la cheffe choisit les intentions aux dépends des gestes donnant les départs et ne parvient à replacer les phrasés (souvent décalés).
Les solistes étant placés quelques mètres à l'avant de l'avant-scène, ils ne peuvent pas suivre la battue de Rebecca Tong, et pas davantage les phrasés de l'orchestre. D'autant que le tempo (quoique constant et maîtrisé) est un peu trop rapide pour les articulations du hautboïste. Au moins lorsqu'il s'agit d'être synchronisés car Alexandre Gattet déploie durant ses cadences de concertiste (passages solistes sans accompagnement) une pleine virtuosité, celle des traits rapides comme celle des lentes et longues tenues nourries qui résonnent dans cette Philharmonie vide comme le roseau dans la vallée. Sabine Devieilhe assume cet isolement, cette voix éloignée de l'orchestre devenant la voix de la musique éloignée de son public mais le retrouvant le temps de l'ultime mouvement de la Quatrième Symphonie de Mahler. Les mains recueillies en prière, au-dessus de -et penchée sur- sa partition, elle fait résonner et rayonner ses aigus dans l'immensité de cette salle. La clarté de ces cimes vocales guide un passage au reste de l'ambitus, à travers le médium jusqu'au grave caressé.
Un long, très long silence referme ce concert comme il l'avait ouvert, concrètement certes pour des raisons techniques (attendant le début de la retransmission puis le défilement du générique), mais surtout dans un intense recueillement lourd de symboles, sans mot d'ordre annoncé mais évidemment en hommage à la culture trop longtemps tue, à toutes les victimes du virus et à tous les soignants.