Petits-déjeuners sur scène à l'Opéra de Nice
L'accès matutinal se fait par l'entrée principale, mais une fois passés les ors (et rouge) de l'Opéra, les invités rejoignent les coulisses puis le plateau (de la scène et du petit-déjeuner). Comme à l'Opéra Comique, l'inversion entre le public et la scène est troublante et agréable. Les tables sont dressées, les invités s'asseyent, toute la magie des décors les sollicite, ils accèdent aux endroits restés jusque-là secrets, ils percent les mystères des machineries, lèvent la tête, observent les rouages techniques, les dessous des artifices et les dessus de l'art.
Quatre œillets rouges annoncent la couleur : les airs de Carmen sont au programme, une table est nommée Pelléas et Mélisande et les autres avoisinantes sont baptisées de noms tout aussi évocateurs. Une courte vidéo met à l'honneur un couple de danseurs du ballet, les visages et la musique des instrumentistes ainsi que l'édifice de l'opéra, vu depuis la Baie des Anges. À la vue de ce paysage idyllique, le Directeur prend la parole pour remercier l'investissement des artistes qui ont posté chaque jour, pendant toute la durée du confinement des capsules vidéo sur les réseaux sociaux pour que l'art subsiste.
L'Opéra de Nice organise également des coups de canons musicaux le midi sur la place publique, nous y étions.
Pendant que le personnel sert un petit-déjeuner raffiné, des choristes parcourent les tables et offrent une rose à chaque participant. Tout à coup, une silhouette apparaît au sein de chacune des loges : l'échiquier musical est mis en place, l'effet esthétique aussi. Le chœur, debout, à la place du public, brandit des drapeaux rouge et blanc, et clame son enthousiasme. La Habanera débute, puis l'air du Toréador, faisant advenir le torero entre les tables, dans une tenue d'apparat rayonnante. Le rendu acoustique de la mise en scène du chœur, en arc de cercle face à la scène, dont chaque membre occupe une loge, est aussi seyant, le son est homogène dans toute la salle, sans vide sonore.
Le choix du répertoire chanté et joué n'est pas anodin, tous les morceaux sont fameux et le public manifeste son engouement pour les airs qu'il reconnaît en applaudissant en rythme. Cette expérience immersive est ponctuée par l'intervention du Directeur qui présente les artistes et livre quelques anecdotes aussi savoureuses que les mets proposés.
Mais soudain, le chœur se retire, les portes principales de la salle qui mènent au parterre s'ouvrent brutalement, et, au milieu de la fumée qui s'en échappe surgit le corniste-soliste Bruno Caulier qui s'impose au centre avec un instrument immense et curieux : le cor des Alpes.
Puis, le chœur réapparaît dans les loges : une rixe éclate entre le côté jardin et le côté cour, la Carmencita semble être à l'origine de l'altercation. Bientôt, tout se calme et deux solistes viennent sur le devant de la scène pour entonner le sautillant le duo de Papageno et Papagena de La Flûte enchantée de Mozart. Les solistes, Liesel Jürgens (soprano) et Joan Hotensche (baryton) sont très dynamiques, la mise en scène du passage, un peu kitch mais distrayante ravit les spectateurs, revenus non seulement face à l'art mais immergés depuis la scène dans un grand manège musical jusqu'au bien-choisi J'attendrai, air de variété dont le thème est repris bouche fermée par les choristes, dirigés, depuis la scène, par le chef de chœur Giulio Magnanini, les yeux fermés, faisant des gestes doux et amples, sous l'emprise de la musique et en pleine démonstration. Le contraste entre la simplicité de l'air et l'investissement du chef, dirigeant ses choristes aux quatre vents donne beaucoup d'émotion à ce grand crescendo et fait tourner la tête et les spectateurs : littéralement puisqu'ils sont placés sur un plateau tournant (épisodiquement et assez lentement bien sûr pour rester agréable) !
Une seconde tasse de café est proposée, puis des violons, une contrebasse et un violoncelle se mettent à jouer frénétiquement Libertango de Piazzolla. À la fougue du tango succède l'espoir d'un baiser (Besame mucho), dans cette matinée de séductions. Les nombreux jeux de lumières permettent, une fois n'est pas coutume, d'apprécier le jeu des machinistes à leur juste valeur. Puis, derechef, le chœur apparaît pour entonner l'hymne du confinement, le Va pensiero du Nabucco de Verdi. Les voix, en harmonie et homogènes concernant la couleur et le volume sonore, résonnent dans toute la salle, dans des nuances douces. Le thème du chœur des esclaves est ensuite repris au piano, dont le jeu minimaliste face à la force sonore de tout un chœur soutient une grande portée émotive.
La matinée est complète (comme le petit-déjeuner) avec arts et histoire puisqu'à l'issue de l'air, un comédien raconte une anecdote : en janvier 1933, Charles Trénet se présente à la SACEM, étape nécessaire à l'époque pour percevoir les droits d'auteur. L'épreuve consistait alors en une préparation de deux heures pour composer une chanson. La légende veut que Trénet soit parti au bout de dix minutes seulement, la chanson composée, et qu'il ait réussi le concours haut la main. Je chante soir et matin, je chante sur mon chemin répète le comédien avant de laisser place à l'interprétation de Chantant, très enlevée, avec piano, violons, violoncelles, percussions. Dans la légère et féerique Douce France, la scène se remet à tourner sous une pluie de rubans dorés menant vers La Mer.
Comme toujours, cette expérience s'achève sur le Libiamo, fameux air à boire de La Traviata de Verdi. Avec beaucoup d'entrain, les solistes nous avisent qu'après le thé et le café, il est déjà l'heure de l'apéritif ! Des ballons de baudruche multicolores surgissent alors du plafond et le chœur clôt le spectacle en entonnant l'hymne niçois Nissa la Bella, invitant le public à se mettre debout et à chanter avec lui.
Le triomphe du chant lyrique dans un spectacle complet et une atmosphère très festive et populaire : un déconfinement idéal servi sur un plateau !