De derrière le rideau : Symphonie INA…chevée
Prenez un verre et remplissez-le à moitié du liquide de votre choix. Gardez-le précieusement et montrez-le à toutes vos relations de passage. N’attendez pas trop pour éviter l’évaporation. Vous le savez d‘emblée, il en est qui vont le voir à moitié vide et d’autres à moitié plein. Et ce, en fonction du regard qu’ils posent sur la vie, sur les évènements. Personnellement, je le vois toujours à moitié plein. Pourtant je suis loin d’être atteint d’un syndrome d’optimisme béat. Mon regard est certes critique, toujours, mais emprunt d’une lueur positive, celle qui fait se creuser les pattes d’oie au coin des yeux ! Vérifiez autour de vous : c’est simple et amusant mais aussi riche d’enseignement. La canicule nous tient en alerte en ce début juillet ? Qu’importe, j’ai prés de moi un verre à moitié plein, et ne risque donc rien ! D’aucuns considèreront qu’il est à moitié vide et qu’il y a danger à ne pas le remplir.
Alors que dire d’une symphonie inachevée. Celle de Schubert par exemple. On peut se dire qu’il a composé deux mouvements magnifiques et à peine entamé un troisième, et se réjouir de pouvoir encore en profiter aujourd’hui. Certes, normalement, une symphonie ne s’arrête pas là. Mais devrait-on ne pas la donner au public sous le seul prétexte qu’elle n’est pas finie ? Schubert n’est plus là pour l’achever et cette « inachevée » fait pleinement partie de son œuvre, n’en déplaise aux esprits chagrins !
Il en est de même de la vie. Lorsque celle-ci s’arrête de manière prématurée, on y voit toujours une grande injustice. Et c’est ce que nous avons ressenti à l’annonce du départ vers les étoiles de la jeune soprano Ina Kringelborn. Elle n’avait que 31 ans et faisait les beaux jours de l’Opéra Comique de Berlin et de l’Opéra de Norvège. Une tumeur,… une tu meurs ! Comment ne pas en être terriblement triste ? Mais on peut aussi essayer de se consoler en se disant que, malgré son jeune âge mais grâce à son immense talent elle a été Valencienne dans La Veuve Joyeuse, Mimi dans la Bohème, la Fortune dans le Couronnement de Poppée, la Comtesse Almaviva dans les Noces de Figaro, Eva dans les Maîtres Chanteurs de Nuremberg ou encore Micaëla dans Carmen, Agathe dans le Freischütz et même Rusalka dans l'opéra éponyme. Alors, bien sûr on pleure la très grande cantatrice mais on peut aussi se dire que l’on va pouvoir continuer à profiter de tous les enregistrements qu’elle a réalisés. Une immense peine nous laisse sans voix, sans la sienne surtout, mais chez nous, seuls ou en groupe, nous pourrons encore passer quelques moments magiques en sa compagnie.
Votre vie, chère Ina, était une symphonie, et même inachevée nous lui rendons hommage. La valeur n’attend pas le nombre des années, dit-on. C’en est une nouvelle fois la preuve et si notre verre est à moitié vide c’est que nous en avons déjà bu la moitié !
Applaudissements.
Retrouvez la précédente chronique de Philippe Marigny De derrière le rideau : générations