Eric Blanc de la Naulte : « Se laisser transporter par l’émotion, la passion »
Eric Blanc de la Naulte, quel bilan faites-vous de la saison écoulée ?
Déjà, nous sommes très heureux d’avoir pu voir aboutir une saison dans sa totalité. Le bilan est positif car nous avons eu 3.000 abonnés, des salles remplies pour les titres à grand public, même si nous avons traversé une période, jusqu’en mars dernier, où les masques et le passe sanitaire puis vaccinal ont créé des contraintes, tant pour nous que pour le public. Nous avons pu proposer la création mondiale de Point d’orgue de Thierry Escaich avec le Théâtre des Champs-Elysées ou encore la redécouverte de Lancelot de Joncières, qui n’avait plus revu la scène d’un théâtre depuis sa création il y a 122 ans, et puis en parallèle des événements populaires comme la carte blanche à Roberto Alagna, La Traviata ou encore Carmina Burana que nous jouerons avec un ballet le 25 juin prochain.
Quelles grandes évolutions voyez-vous pour le secteur de l’opéra en France dans les prochaines années ?
Le public se recentre sur les grands titres du répertoire qui sont plus sécurisants, et il se précipite moins sur des engagements à moyen ou long terme. Il va donc falloir repenser les formules d’abonnement, et peut-être aussi la feuille de route quant à de futures créations. Ces évolutions sont certes liées au Covid, mais pas seulement, d’autres facteurs, comme le pouvoir d’achat, entrent en jeu. Le plus grand danger serait que certains spectateurs se reportent vers le streaming. Nous ne devons pas adapter le spectacle vivant à la vidéo, afin qu’il reste vivant. L’émotion n’est pas la même lorsque l’on est derrière un écran, d’autant que l’on est captifs du point de vue du réalisateur : on n’est plus libre de fixer son regard où l’on veut sur la scène.
Une autre évolution me semble être sur la durée des ouvrages : les formats de consommation sont aujourd’hui plus courts. Même les films durent aujourd’hui plutôt 1h30, alors que nos opéras durent 3 heures. Peut-être devrions-nous aussi changer les horaires et débuter à 19h plutôt que 20h. Peut-être faut-il adapter les ouvrages pour qu’ils durent un peu moins longtemps, sans bouleverser l’œuvre, bien entendu. Sur les grands titres, cela ne pose pas de soucis, mais sur des titres plus difficiles, il faudra avoir une réflexion.
Y a-t-il des évolutions notables dans la manière dont vous voyez aujourd’hui l’avenir de l’Opéra de Saint-Etienne ?
Nous allons beaucoup plus irriguer les foyers culturels de la ville de Saint-Etienne. Nous avons des after-work au Novotel ou au Steel, nous avons participé à la biennale du design, à la foire internationale, nous allons au CHU et à la maison d’arrêt de La Talaudière, nous participons à la fête du livre : nous nous intégrons beaucoup plus dans la vie culturelle de la ville. Autre nouveauté, nous accueillons des résidences, avec L’Ensemble orchestral contemporain pour la musique contemporaine, et Canticum Novum pour la musique baroque. Nous programmerons l’an prochain trois titres de chacun de ces ensembles et les accompagnons dans leurs répétitions et leurs actions culturelles.
LOpéra et Saint-Étienne, une belle et grande histoire damour. ❤️ Vivez le lancement de la nouvelle saison de lOpéra de Saint-Étienne en direct sur https://t.co/B8654aQ9xk pic.twitter.com/pJEmcjHiMt
— Ville Saint-Étienne (@saint_etienne_) 17 mai 2022
Quel thème avez-vous choisi pour cette nouvelle saison ?
Mon crédo est de rappeler que l’opéra est populaire : c’est de la passion, de l’émotion. D’où le titre de notre saison : « Laissez-vous transporter ». Il faut lâcher prise, comme en sport. C’est pourquoi j’ai présenté la saison au public accompagné de Nelson Monfort, qui est un érudit de l’opéra. Je trouvais intéressant d’avoir un journaliste qui interview les plus grands joueurs de notre temps à Roland-Garros : le public a très bien appréhendé cette proposition. Cela fait partie des décalages que je souhaite apporter pour montrer que l’opéra est ouvert à tous.
La saison 2022/2023 reste très marquée par les reports : comment garder la cohérence d’une saison avec de telles contraintes ?
Il est vrai que cette nouvelle saison comprend trois reports de productions en création, dont nous avions construit les décors et fabriqué les costumes. Il s’agit d’Andromaque, de La Veuve joyeuse et de La Nonne sanglante.
Quels impacts ces reports ont-ils sur le travail de vos ateliers et l’organisation de la maison ?
Il fallait que nous les reproposions au public assez vite pour ne pas que les productions s’abiment, sachant que la saison 2021/2022 était alors déjà totalement actée. Certaines idées que nous avions pour la saison prochaine ne verront du coup le jour que la saison d’après : l’impact est sur le temps long. Ces reports vont permettre aux ateliers de prendre de l’avance sur les productions des saisons suivantes. Nous pourrons peut-être ainsi participer par des apports à de petites coproductions avec d’autres théâtres. Nous aurons plus de souplesse.
Comme l’an dernier, vous lancerez votre saison avec un oratorio. Il s’agira cette fois du Requiem de Mozart : ouvrirez-vous désormais toutes vos saisons ainsi ?
Non, c’est un hasard. Mais je voulais démarrer la saison avec un gros titre, et il fallait qu’il y ait un chœur et que l’on puisse trouver un équilibre budgétaire. Nous n’avions pas joué le Requiem depuis 6 ans : il était temps de le reproposer. Il est certain que le Requiem de Mozart parle beaucoup plus aux gens que La Vierge de Massenet que nous avons programmée l’an dernier. C’est une œuvre magnifique, très rarement donnée, mais elle attire moins que le Requiem qui est une œuvre magistrale que tout le monde a envie d’entendre et de réentendre. Nous voulons aussi construire cette relation de confiance avec le public pour qu’il vienne écouter les chefs-d’œuvre, parfois moins connus, que nous leur proposons.
Giuseppe Grazioli, le chef principal de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, dirigera cette soirée : qu’apporte-t-il depuis son arrivée ?
Déjà, il apporte beaucoup en termes de propositions artistiques symphoniques : nous construisons la saison symphonique ensemble, mais il apporte une diversité. C’est par exemple lui qui a proposé le Marathon Beethoven : sur une soirée, le 1er avril, nous allons proposer, en trois concerts qui vont s’enchainer, toute la musique pour piano composée par Beethoven (nous aurons les 1er et 2ème concertos à 16h, les 3ème et le 4ème à 18h, et à 21h le 5ème concerto et la Fantaisie pour Chœur, Orchestre et piano). Nous proposerons en plus une pause gastronomique entre les deux derniers rendez-vous, offerte aux spectateurs qui prendront au moins deux concerts. Nous solliciterons tous les sens. Cette soirée au Grand Théâtre Massenet clôturera la semaine de piano que nous avons habituellement au Théâtre Copeau. Par ailleurs, Giuseppe Grazioli apporte sa ligne directrice, sa vision, dans son travail avec l’orchestre. Cela apporte une continuité. Chaque saison, il dirigera deux ouvrages lyriques et trois symphoniques (le Requiem comptant ici parmi les ouvrages symphoniques).
La distribution vocale sera composée de Clémence Barrabé, Anne-Lise Polchlopek, Sébastien Droy et Guilhem Worms : qui l’a construite ?
Giuseppe Grazioli a proposé cette distribution. À compter de cette saison, il nous accompagne aussi dans le conseil aux distributions vocales. Jean-Louis Pichon, qui exerçait cette fonction jusqu’ici, a souhaité de son propre chef s’en détacher. La ligne reste la même : des distributions plutôt françaises, avec de jeunes artistes, des découvertes et des prises de rôles. L’objectif est aussi d’avoir des distributions homogènes. Nous cherchons aussi toujours à rassembler des artistes entre lesquels il peut y avoir une bonne ambiance : cela se ressent dans le résultat final.
En novembre, vous proposerez une nouvelle production des Noces de Figaro mise en scène par Laurent Delvert : quelle lecture fait-il de l’œuvre ?
Laurent Delvert est chez nous le spécialiste de Mozart, puisqu’il était venu collaborer à la mise en scène de La Clémence de Titus par Denis Podalydès, puis était venu mettre en scène Don Giovanni en 2019, et il revient donc pour les Noces. Sa lecture apportera de la nouveauté tout en restant assez classique. Ce sera assez coloré : nous voulons que les gens s’évadent dans l’imaginaire de l’ouvrage. Il va montrer du beau dans une scénographie de Philippine Ordinaire qui va offrir du mouvement.
Pour les fêtes de fin d’année, vous jouerez La Veuve joyeuse dans une nouvelle production de Jean-Louis Pichon qui aurait dû être jouée en décembre 2020. Quel sera l’univers proposé ?
Chaque saison, pour les fêtes de fin d’année, nous proposons alternativement une opérette ou un concert de fin d’année. L’idée est que ce soit très festif. Le public de ces soirées veut qu’il y ait de la joie, et apprécient de retrouver le traditionnel cancan. J’ai confié cette mise en scène à Jean-Louis Pichon parce que j’ai toujours aimé son travail. Nous avons d’ailleurs déjà donné ses productions du Roi d’Ys et des Dialogues des Carmélites. Lui, de don côté, a toujours rêvé de mettre en scène cet ouvrage. C’est donc lui qui a écrit cette mise en scène qui sera réalisée par Jean-Christophe Mast.
Laurent Touche, chef d’orchestre qui dirige le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, sera dans la fosse : qu’apportera-t-il ?
Laurent Touche est avant tout notre chef de chœur, fonction qu’il assume très bien. Il est aussi chef d’orchestre : il est intéressant de le faire travailler en fosse. Nous faisons ce choix parce qu’il a les qualités pour tenir ce rôle, et pas pour lui être sympathique. Nous avons pris l’habitude de lui confier la baguette pour les opérettes de fin d’année que nous donnons une année sur deux. C’est un bon rythme, qui nous permet aussi d’avoir des chefs invités pour apporter de la diversité.
Vous maintiendrez la tradition des opus jeune public, avec Une autre histoire de Manon en janvier. Il s’agira d’une coproduction avec notamment Vichy et Limoges, mise en scène par Claire Manjarrès (qui avait mis en scène un Elixir d’amour à Vichy l’an dernier) : qui est-elle ?
Dans ma manière de programmer, je reste à l’écoute de tous les projets que l’on me soumet. Après, je fais mes choix. C’est Claire Manjarrès et Thomas Palmer, qui a adapté la musique et dirigera l’orchestre, qui m’ont proposé ce projet, avec leur compagnie ‘OP’LÀ ! Les créations lyriques’. Cette proposition m’a séduit parce qu’elle cochait deux cases parmi les objectifs que je me fixe chaque saison : proposer une production tout public (qui n’est d’ailleurs pas que pour les enfants car il y a différents degrés de lecture) et jouer une œuvre de Jules Massenet, qui est le compositeur local. Ce sera donc une adaptation en 1h15. Un autre aspect qui me plait beaucoup dans ce projet est que nous aurons une Académie d’orchestre : c’est une occasion de faire découvrir le monde professionnel à de potentiels futurs musiciens d’orchestre. Quatre conservatoires, de Saint-Etienne, de Clermont-Ferrand, du Puy-en-Velay et de Vichy, seront donc associés. Ces jeunes musiciens seront encadrés par les solistes de notre orchestre professionnel. C’est une nouveauté pour nous à cette échelle : nous l’avions fait avec le Conservatoire de Saint-Etienne sur Cendrillon. Cette volonté de transmettre fait partie de notre ADN. Les solistes compteront d’ailleurs aussi de jeunes artistes. Ces productions tout public ne sont pas de moindre qualité, nous l’avons prouvé par le passé.
S’agira-t-il d’une production participative ?
Le public ne participera pas forcément pendant le spectacle : la production sera sur scène. Par contre, un travail sera mis en place avec les écoles : nous aurons des enfants de plusieurs écoles, collèges et lycées. Sur Aladin, les enfants avaient tous repris l’un des airs en cœur : c’était génial. Cela avait vraiment généré une émotion particulière.
Vous présenterez ensuite au public la production d’Andromaque de Grétry : comment expliquez-vous que ce compositeur soit de plus en plus joué ?
Le fait qu’un compositeur soit joué peut donner envie à d’autres théâtres de poursuivre la redécouverte. Nous devions donner cette production il y a deux ans : peut-être, à notre petit niveau, avons-nous participé à donner des idées à d’autres, comme j’espère que Joncières sera aussi rejoué ailleurs. Nous travaillons beaucoup avec le Palazzetto Bru Zane qui n’est sans doute pas pour rien dans ces redécouvertes. En ce qui nous concerne, ce projet était aussi lié au metteur en scène Matthieu Cruciani, qui est un ancien élève de l’École de la Comédie de Saint-Étienne, et qui avait déjà monté Andromaque au théâtre : il était intéressant de voir comment le chant impacterait son travail.
Autre redécouverte pour votre public en mai avec La Nonne sanglante qui devait initialement ouvrir la saison dernière : pourquoi avoir choisi de donner cette œuvre de Gounod dans une nouvelle production ?
C’est une œuvre très peu jouée, que j’ai découverte à l’Opéra Comique en 2018, et que j’avais trouvée très intéressante, avec de très beaux thèmes. Nous essayons de produire des nouveautés : je trouve plus intéressant de créer une production sur une œuvre peu connue que sur des grands titres. Le calendrier de nos ateliers le permettait donc nous nous sommes lancés.
La mise en scène de Julien Ostini, replacée dans une tribu d’Inuits, s’annonce originale : comment expliqueriez-vous ce concept ?
Il s’agit de son parti-pris. Nous avons déjà travaillé avec Julien Ostini : nous lui avons donné carte blanche, dès lors que cela rentre dans nos critères de qualité visuelle, artistique et budgétaire. Ce qui est important, c’est que ça génère des émotions. Je pense que, tout en étant un peu décalée, cette production va renvoyer quelque chose de beau. Je suis en revanche moins attaché à ce qu’il y ait un message philosophique, intellectuel, symbolique, politique ou autre. Ce n’est pas mon rôle d’interférer avec la création artistique : je lui fais confiance, le public et la presse seront seuls juges.
Ce sera l’occasion de retrouver Florian Laconi, fidèle de la maison, dans un rôle que Michael Spyres qualifiait de rôle le plus difficile qu’il ait eu à chanter : qu’en attendez-vous ?
Il aime bien les défis, alors il était ravi qu’on lui propose une telle prise de rôle. C’est important pour nous de proposer des prises de rôles, de développer la carrière des artistes. C’est ce qui fait la richesse de demain. Nous connaissons son talent et ses qualités, lui est heureux de le faire.
La saison lyrique se refermera avec un Verdi : pourquoi avoir choisi de donner Macbeth ?
Je voulais clôturer la saison sur un grand titre. Or, nous discutions depuis longtemps avec l’Opéra de Nice pour trouver une coproduction commune car nous n’avions pas travaillé ensemble depuis longtemps. Nous discutons d’ailleurs pour d’autres coproductions pour les saisons suivantes. Bertrand Rossi avait ce projet qui était mis en scène par Daniel Benoin, qui est Directeur du Théâtre anthéa d’Antibes, et qui a la particularité d’avoir dirigé La Comédie, le Centre dramatique de Saint-Étienne. Jusque-là, aucun directeur de la Comédie n’avait mis en scène à l’Opéra de Saint-Etienne : ça faisait longtemps que j’essayais de faire venir Daniel Benoin. Tout se goupillait donc bien.
Que pouvez-vous dire de la distribution ?
Cette production sera l’occasion d’une prise de rôle de Catherine Hunold en Lady Macbeth, mais aussi pour Valdis Jansons, qui chantera le rôle-titre pour ses débuts à Saint-Etienne. C’est Giuseppe Grazioli qui l’a repéré et me l’a conseillé. Nous accueillons aussi le jeune ténor Léo Vermot-Desroches en Malcom, qui devrait voir sa carrière exploser.
Y a-t-il, dans le reste de la programmation non lyrique, d’autres projets que vous souhaitez particulièrement mettre en avant ?
Le 17 novembre, nous proposons le Concert des 4 siècles, qui sera dirigé par Chloé Dufresne. C’est une jeune cheffe dynamique, qui jouera une œuvre de Camille Pépin, jeune compositrice qui a été récompensée aux Victoires de la musique classique en 2020 : cela fait partie de notre travail de découverte de proposer des œuvres nouvelles. Il est désormais de coutume de communiquer sur le fait que l’on programme des femmes, mais nous les avons choisies pour l’intérêt de leur proposition artistique et pas pour remplir des quotas.
Nous avons participé à un concours en Italie, dont l’un des prix était de venir diriger à Saint-Etienne : nous accueillerons donc l’un des lauréats, le chef ukrainien Sasha Yankevych, pour le concert Raymond et Juliette, qui associera l’Ouverture de Raymond d’Ambroise Thomas et des extraits des suites 1 et 2 du Roméo et Juliette de Prokofiev. Là encore, le fait qu’il soit Ukrainien est un hasard : il avait simplement les compétences pour remporter ce prix.
Comment résumeriez-vous cette programmation ?
Je veux insister sur l’éclectisme de la programmation de l’Opéra : nous faisons des afterworks avec de la musique de variété française, de la bossa nova, etc. Nous aurons en résidence des compagnies de musique ancienne et contemporaine, nous aurons des ballets classiques mais aussi moins classiques puisque nous accueillerons Malandain et Mourad Merzouki. Nous aurons des récitals de piano, nous interviendrons à la Cathédrale, à l’Hôtel du département, à la biennale de design. Nous cherchons à créer un foisonnement : nous voulons participer à cette diversité culturelle qui est une richesse, et où tout le monde peut se retrouver.