Éric Blanc de la Naulte, Directeur de l’Opéra de Saint-Étienne : « Nous constatons une vraie appétence du public »
Éric Blanc de la Naulte, comment avez-vous vécu le fort impact de la pandémie sur la saison dernière ?
Ça a été un moment difficile pour nous, pour le monde culturel, mais aussi pour le reste du monde. La grande difficulté était de ne pas avoir d’horizon : nous étions prêts à reprendre l’activité avec des protocoles, mais nous apprenions chaque fois au dernier moment que l’échéance était reculée, et ce du 20 octobre jusqu’au 19 mai. Pendant ce temps, nous avons continué à travailler, à répéter, à monter des décors et, bien sûr, à préparer les saisons à venir. Il était très frustrant de rentrer chez soi le soir en ayant l’impression de travailler dans le vide, sans pouvoir rencontrer notre public. Le spectacle vivant a besoin de trois composantes : une œuvre, des artistes et le public. Ce dernier nous a manqué.
Quelles leçons doivent selon vous être tirées de cette année et demie de crise ?
La facilité intellectuelle peut nous amener à penser qu’on peut faire plus de spectacles en numérique et nous adapter à un soi-disant monde moderne. Mais le spectacle vivant doit rester vivant et être vécu dans une salle avec des artistes en chair et en os. Le spectacle vivant permet de choisir ce sur quoi concentrer son attention, de donner soi-même du sens à l’œuvre, tandis que le spectacle numérique passe par le prisme de la vision d’un réalisateur : ce n’est pas du tout la même expérience. Les leçons à tirer sont plus dans notre fonctionnement, avec notamment le développement du télétravail.
Les productions annulées seront-elles reprises ?
Je distingue nos propres productions et celles que nous accueillons. Les productions de la première catégorie seront intégralement reportées mais pas sur 2021/2022 car la saison était déjà programmée depuis deux ans. Le public verra donc dans les prochaines saisons La Nonne sanglante (j’avais été surpris en l’entendant à l’Opéra Comique par la qualité de la partition et je souhaitais lui offrir une production correspondant à notre univers), La Veuve joyeuse et Andromaque. Dans ces cas, les costumes et les décors ont déjà été fabriqués. Pour les productions accueillies, cela dépendra de la volonté du public (que nous évaluons avec l’état de réservation auquel se trouvait le spectacle au moment de l’annulation), de notre projet artistique (il y a des œuvres que nous tenons absolument à montrer) et de la concordance entre la disponibilité du théâtre et celle des compagnies accueillies. Nous reprendrons par exemple trois ou quatre ballets ainsi que l’ensemble des récitals de piano (qui étaient complets), mais Les Pêcheurs de perles, qui n’est pas une production à nous, ne sera pas reprogrammé (ou plutôt, nous reprogrammerons l’ouvrage, mais cette fois dans une mise en scène que nous créerons). Au global, deux tiers des levers de rideaux annulés ne seront pas reportés. Lorsque nous reportons, nous essayons de reprendre les mêmes distributions, mais c’est aussi une question de disponibilités.
Chaque saison, vos distributions sont très majoritairement françaises : selon vous, comment les artistes français ont-ils traversé la crise ?
Pour un artiste, il est extrêmement difficile de ne pas monter sur scène et d’être privé du public. Concernant les aspects financiers, la ville de Saint-Étienne a tenu à payer tous les artistes intégralement, du figurant aux solistes en passant par le chef d’orchestre. Mais tous les théâtres n’ont pas pu en faire autant, cela a donc pu également être difficile de ce point de vue.
Voyez-vous le public revenir ?
Ce lancement de saison est difficile et nous nous attendons à avoir un taux de remplissage moins élevé qu’avant la pandémie, mais nous constatons tout de même une vraie appétence du public. Nous avons vendu 3.000 abonnements en trois semaines, 2.500 billets individuels en deux jours, et certains spectacles sont déjà complets. Des gens ont attendu quatre heures devant le guichet l’ouverture de la billetterie individuelle. Le public va revenir : nous sommes fermés depuis un an et demi, nous avons tous présenté nos saisons très tard, il y a des contraintes sanitaires et pourtant, bien qu’inférieures à 2019, nos ventes sont bonnes, y compris pour des spectacles en juin. C’est très positif. Certains spectateurs attendent de voir l’évolution de la situation, mais finiront, j'en suis convaincu, par revenir.
Comment avez-vous construit votre saison ?
Cette saison a été construite avant la pandémie, mais adaptée constamment depuis car nous avons vite compris que la situation allait perdurer : il nous a fallu reporter des spectacles. Le fil conducteur reste constant, avec un accent sur la musique française, des compositeurs français et des artistes français. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’on ne fait que des œuvres françaises ou qu’on n’invite que des artistes français. Nous cherchons aussi à faire découvrir des œuvres rares : nous avions Andromaque l’an dernier, et cette saison Lancelot, qui n’a plus été produit en version scénique depuis 120 ans. Nous ferons aussi découvrir le diptyque La Voix humaine et Point d'orgue de Thierry Escaich [à découvrir à travers notre interview d’Oliver Py]. Nous proposons aussi des titres que les gens ont envie de revoir : c’est dans cet esprit que nous jouerons Madame Butterfly et Traviata. Le public aime retrouver régulièrement ces ouvrages, les redécouvrir à travers une nouvelle mise en scène et des distributions différentes.
Comment choisissez-vous les ouvrages rares que vous présentez ?
Mon parti-pris est de proposer des titres qui font écho dans l’imaginaire collectif, si possible dans le répertoire français : Lancelot, Andromaque ou Dante sont des personnages qui font partie de notre patrimoine culturel commun, mais je pourrais aussi m’intéresser à des redécouvertes d’opus de compositeurs connus. Après, bien entendu, je me documente pour m’assurer de l’intérêt de l’œuvre et je regarde si d’autres maisons sont susceptibles de s’associer à une coproduction. C’est toujours un risque : si la salle est peu remplie, c’est que je me suis trompé. Car l’objectif est toujours que ça plaise au public, et que la presse en parle car il y a un enjeu d’image et de reconnaissance de notre excellence. Je collabore de plus en plus avec le Palazzetto Bru Zane dont le travail est de participer à cette redécouverte : ils sont force de proposition. Nous avons d’ailleurs une logique similaire pour notre offre destinée aux scolaires : nous proposons des titres qui parlent comme Aladin, Le Médecin malgré lui, Cendrillon ou, pour cette saison, Hänsel et Gretel.
Comment choisissez-vous les artistes que vous invitez ?
Nous discutons beaucoup avec les artistes et leurs agents pour voir ce qui les intéresserait. Nous nous connaissons et construisons des fidélités, même si nous invitons aussi régulièrement de nouveaux artistes qui débutent à Saint-Étienne, notamment des jeunes que nous avons à cœur de faire découvrir au public. C’est un risque aussi, mais c’est le sens du spectacle vivant. Parfois on se trompe mais ça fait partie du jeu. Je fais aussi attention à la relation entre le chef et le metteur en scène : il est plus facile d’avoir un bon résultat s’ils s’entendent. De la même manière, on essaie de faire en sorte que les solistes aient de bons rapports parce qu’on travaille moins bien dans une ambiance tendue. Nous sommes attentifs à faire des distributions homogènes en termes de voix, mais aussi d’atomes crochus, et de travailler avec des artistes qui apprécient la maison. Cela ne fonctionne pas toujours, mais nous essayons que les répétitions se passent dans la bonne humeur.
Votre saison a démarré avec La Vierge de Massenet : comment décririez-vous cet oratorio ?
Massenet étant Stéphanois, nous programmons au moins une œuvre de son catalogue chaque année. Cela peut être un opéra, un oratorio ou une petite forme. Nous n’avions pas joué cette œuvre depuis 30 ans. C’est un oratorio connu de Massenet, mais qui est peu joué. Il faut faire redécouvrir ces ouvrages au public. C’est une très belle musique, très mélodique et sensuelle. C’est très facile à écouter. C’est une partition enveloppante, réconfortante, apaisante. La programmation est faite deux à trois ans à l’avance donc c’est parfois difficile d’anticiper : sans doute que cette Vierge n’est pas tombée pas au meilleur moment pour attiser la curiosité du public, juste après la pandémie, car c’est un oratorio sans mise en scène et ce n’est pas l’œuvre la plus gaie. Mais nous ne pouvions pas prévoir ces événements.
C’est Alexandra Cravero qui dirigeait cette version de concert : comment l’avez-vous choisie ?
Nous l’avons entendue diriger et avons apprécié son travail. Puis nous avons discuté : le projet l’a intéressée. Je ne l’ai pas choisie parce que c’est une femme, mais cela montre que nous invitons les bons chefs, quel que soit leur genre.
Cette œuvre offre une grande place aux chœurs : c’était notamment l’occasion d’entendre le Chœur de la Maîtrise de la Loire. Quelle est sa relation avec l’Opéra ?
C’est une maîtrise qui dépend du Conseil départemental de la Loire, avec lequel nous entretenons de très bonnes relations puisqu’ils subventionnent l’Opéra de Saint-Étienne. Nous ne programmons pas pour la maîtrise, mais il y a de fait systématiquement au moins une œuvre qui fait appel à elle dans une saison.
Le plateau vocal était emmené par Catherine Hunold dans le rôle-titre : quelle est sa relation avec la maison ?
Catherine vient très régulièrement à l’Opéra de Saint-Étienne. Elle connaît la maison et nous avons l’habitude de travailler avec elle. Elle fait partie des artistes avec lesquels nous aimons travailler, parce qu’elle est talentueuse, et que nous entretenons de bons rapports humains.
En novembre viendra Madame Butterfly, l’un des deux opus très populaires de la saison, dans la mise en scène d’Emmanuelle Bastet. Pourquoi avoir choisi cette production ?
Cela faisait très longtemps que Madame Butterfly n’avait pas été joué à Saint-Étienne. Or, c’est un titre que le public souhaite entendre régulièrement. Je n’avais pas les moyens de créer une nouvelle production parce que nous n’avions plus de disponibilité dans nos ateliers, sachant qu’en plus des nouvelles productions que nous proposons chez nous sur une saison, nos ateliers travaillent aussi sur des coproductions qui passent d’abord chez un coproducteur et que notre public verra sur une saison ultérieure. Par exemple, nos ateliers ont travaillé sur La Voix humaine / Point d'orgue l’an dernier avant son passage au TCE, alors que nous ne le programmons que cette saison. De fait, parmi les productions de Butterfly existantes et accessible en termes de coût, et il n’y en a pas dix, c’est celle qui me paraissait la plus intéressante. J’ai trouvé son esthétique très belle et sa vision intéressante. Si sa production ne m’avait pas convaincu, il m’aurait été très simple de programmer un autre ouvrage à la place.
C’est une jeune soprano, Alexandra Marcellier, qui interprétera le rôle-titre. Comment l’avez-vous choisie ?
Nous avons vocation à donner leur chance à de jeunes artistes, et pas simplement dans des seconds rôles. C’est notamment le travail de Jean-Louis Pichon, qui est Conseiller aux distributions et a dirigé la maison pendant 25 ans. Il a une vraie qualité d’oreille, d’écoute et de découverte, et a une grande expérience (il a par exemple été très longtemps membre du jury du concours Operalia de Placido Domingo). Je m’appuie donc sur son talent. Alexandra Marcellier est typiquement une artiste que Jean-Louis Pichon a découverte et m’a proposée. Dans 98% des cas, ce qu’il me propose fonctionne, donc je lui fais tout à fait confiance.
À l’inverse, Florian Laconi, qui chantera Pinkerton, est un fidèle de la maison : comment cette relation s’est-elle construite ?
La complicité que l’on peut avoir avec un artiste ne guide pas les choix, mais elle est importante, tout comme l’attrait qu’il exerce sur le public. En dehors de ses qualités artistiques, qui sont bien sûr le prérequis, Florian Laconi a ces qualités humaines. C’est un très grand professionnel et cela se passe toujours bien. Son répertoire est par ailleurs suffisamment vaste pour que la programmation permette de l’inviter chaque saison.
En décembre, vous proposerez un opéra adapté au jeune public avec Hänsel et Gretel : est-ce important d’avoir un opéra qui leur soit dédié dans une saison ?
C’est essentiel. Notre programmation jeune public attire 23.000 scolaires chaque année. Nous avons relancé les abonnements il y a trois semaines et nous avons déjà 3.500 scolaires abonnés. Nous avons une vraie culture en ce sens. Depuis mon arrivée en 2014, nous faisons une production tout public mais aussi à destination des jeunes et des scolaires. Il faut que le format soit adapté y compris en termes de durée. Nous avions arrêté depuis deux ans pour des raisons budgétaires, mais nous y revenons cette saison grâce à un financement en coproduction avec l’Opéra de Vichy et Les Variétés Lyriques. Les coûts étant partagés, cela redevient faisable et nous allons essayer de recommencer dans les saisons à venir. Nous proposons aussi des matinées scolaires sur nos concerts symphoniques ou nos ballets, en adaptant le programme. Nous avons une cellule qui travaille avec les écoles pour préparer ces spectacles. Pour Aladin, nous avions 800 enfants qui chantaient le dernier air, qu’ils avaient travaillé en classe : j’en avais la chair de poule.
Est-ce aussi l’occasion de faire confiance à de jeunes artistes ?
Bien sûr, cela permet de donner leur chance à des jeunes. En l’occurrence, ce sera Denis Mignien qui mettra en scène, Thibaut Maudry qui dirigera Amélie Grillon et Alexandra Hewson qui interpréteront les rôles-titres.
Est-ce dans le même esprit que vous présenterez Monsieur Choufleuri restera chez lui en novembre ?
Non, cela y répond en partie, mais c’est surtout un moyen de proposer une opérette qui ne soit pas de la production de l’opéra, parce que nous n’avons pas les budgets pour en faire plus et que le public en demande. Nous essayons de faire un titre tous les deux ans. Faire ce spectacle à la salle Copeau permet de faire quelque chose de moins coûteux.
En janvier, vous proposerez une nouvelle production d’Hamlet par Nicola Berloffa : quel en sera le propos ?
C’est la troisième fois que nous accueillons Nicola Berloffa. C’est un Italien qui parle très bien français et que nous apprécions. Je ne fais pas d’ingérence artistique : dès lors qu’il a accepté de faire cette production, je lui laisse carte blanche et ne m’en mêle plus. Je sais qu’il ne va pas faire n’importe quoi car je connais son travail, mais je prends dès lors le risque que ce ne soit pas bon. Je n’interviens que si le budget n’est pas respecté. Ça ne m’est arrivé qu’une fois de conseiller à un metteur en scène de revoir son projet, qui allait vraiment trop loin. Du coup, je découvre comme le public la production le soir de la première. Je vais bien sûr voir les répétitions, mais souvent les morceaux du puzzle ne se mettent en place qu’à la toute fin des répétitions. Avant, on ne sait pas vraiment ce que cela va donner.
Là encore, ce sera l’occasion d’offrir un coup de projecteur et des prises de rôles à trois jeunes chanteurs, Jérôme Boutillier, Jeanne Crousaud et Jiwon Song : comment les décririez-vous ?
Nous avons accueilli pour la première fois Jérôme Boutillier il y a trois ans. C’est un jeune artiste dont la carrière explose. On le voit partout et c’est devenu très difficile de l’avoir car il a très peu de disponibilités : c’est embêtant pour nous mais c’est très bien pour lui. C’est un artiste extraordinaire. Jeanne Crousaud et Jiwon Song sont aussi des jeunes artistes dont nous accompagnons la montée en puissance.
Viendra ensuite le diptyque La Voix humaine / Point d’orgue. Vous indiquiez lors de notre précédente interview vouloir faire une création tous les deux ans : il s’agit donc de Point d’orgue cette année. Comment ce projet s’est-il monté ?
Tout à fait, c’est une commande à laquelle l’Opéra de Saint-Étienne est associé, même si la création n’est pas ici. C’est un projet du Théâtre des Champs-Élysées, avec qui nous sommes en contacts réguliers. La création est compliquée à réaliser donc c’est bien de pouvoir s’associer. J’inclus d’ailleurs aussi les redécouvertes dans le travail de création. J’avais d’ailleurs signalé au public pour Dante que personne de vivant sur Terre n’avait vu cet ouvrage, puisque la pièce n’avait plus été produite depuis 130 ans. Cela avait créé un petit émoi.
Votre chef principal, Giuseppe Grazioli, qui a succédé en 2019 à David Reiland, tiendra la baguette : quel rôle a-t-il dans la maison ?
Son rôle est de faire travailler l’orchestre et de participer à la construction de la programmation symphonique de la maison et proposer des chefs pour les projets lyriques. Afin de tirer l’orchestre vers le haut et travailler avec lui, lui doit diriger au moins cinq ouvrages dans l’année, qu’il choisit lui-même. Cela permet de construire une complicité avec l’orchestre, qui acquiert grâce à lui une méthode différente.
Autre redécouverte en mai avec Lancelot de Victorin Joncières, compositeur cher au chef Hervé Niquet : qu’attendez-vous de la mise en scène de Jean-Romain Vesperini ?
Nous avons en effet fait ce choix de programmation avec Hervé Niquet et le Palazzetto Bru Zane. Elle sera en effet mise en scène par Jean-Romain Vesperini qui avait fait un travail magnifique sur Dante. Je lui fais donc totalement confiance pour cette production. J’attends de lui qu’il fasse appel aux références que suggère ce personnage de Lancelot, et qu’il surprenne. Son univers visuel va être très beau, très coloré, avec de belles lumières.
Là encore, vous rassemblez une jeune distribution, majoritairement française, avec Thomas Bettinger (Lancelot), Tomasz Kumiega (Arthus) ou encore Anaïk Morel (Guenièvre) : que pouvez-vous en dire ?
Thomas Bettinger fait partie de ces artistes français que l’on commence à voir un peu partout et avec lesquels on aime travailler : on ne va pas se priver de le réinviter sous prétexte qu’il est déjà venu régulièrement. En revanche, c’est Jean-Louis Pichon qui a choisi Tomasz Kumiega et Anaïk Morel, parce qu’il les suit et qu’il est convaincu qu’ils correspondront aux rôles.
Vous proposerez en mai un autre opus populaire, La Traviata, dans une mise en scène de votre confrère Jean-Louis Grinda : pourquoi avoir choisi de reprendre cette production ?
C’est en effet une coproduction de Saint-Étienne et Monte-Carlo, que nous avons déjà présentée ici en 2013. Il y aura quelques petits aménagements. Traviata fait partie des titres que le public souhaite voir régulièrement, et nous devions respecter un équilibre budgétaire : reprendre la Traviata que nous avions déjà en stock huit ans après avait du sens. Le public va pouvoir la redécouvrir avec un chef et des chanteurs différents. Musicalement, l’approche pourra être totalement renouvelée. Nous reprenons rarement nos propres productions (c’est la troisième fois depuis 2014, après Le Roi d'Ys et Dialogues des Carmélites) : nous les conservons principalement pour les faire tourner dans d’autres lieux.
Vannina Santoni qui ne propose en effet pas une Violetta comme les autres, fera à cette occasion ses débuts chez vous : comment décririez-vous sa Violetta ?
Si nous l’invitons dans ce rôle, c’est parce qu’on a pensé beaucoup de bien de ce qu’elle a fait au Théâtre des Champs-Élysées. Le public semble intéressé par cette proposition puisque la production ne sera donnée qu’en juin et qu’elle est déjà à moitié pleine sur toutes les représentations.
Enfin, en juin, vous jouerez Carmina Burana de Carl Orff sous la direction de Mihhail Gerts avec Irina Kyshliaruk, Rémy Bres et Valdis Jansons : pourquoi proposer cet opus ?
Carmina Burana fait partie des titres que le public a envie d’entendre régulièrement et dont il ne se lasse pas. Nous l’avions présenté la dernière fois en 2014 : nous sommes dans la bonne temporalité pour le rejouer. Mais je ne voulais pas faire entendre une énième Carmina Burana. Je savais qu’il en existait une version sous forme de ballet : j’ai choisi de m’orienter vers ce projet qui permet de mêler les publics lyrique et chorégraphique. J’essaie chaque saison de proposer un ballet avec un orchestre : cette fois, ce sera donc un chœur, accompagné d’un effectif réduit. Il y aura deux pianos et des percussions, soient neufs musiciens de notre Orchestre, et nous jouerons une adaptation qui existe déjà pour cette configuration. Nous faisons aussi appel à des chœurs universitaires qui ne sont pas professionnels mais qui en ont le niveau, car nous avons besoin d’une masse beaucoup plus importante que d’habitude.
Lors de notre dernière interview, vous indiquiez que les récitals de voix peinaient à trouver leur public. Vous invitez pourtant cette saison Roberto Alagna, Vincent Le Texier et Véronique Gens : avez-vous finalement trouvé la recette ?
Nous verrons à la fin de la saison. À l’époque, nous ne faisions que des récitals avec piano. Cette fois, Roberto Alagna sera accompagné d’un orchestre et Véronique Gens d’un quintette avec piano. La qualité sera là : nous présentons trois beaux artistes. Roberto Alagna est une tête d’affiche tout public, Véronique Gens et Vincent Le Texier sont aussi deux grands artistes : j’espère que ces concerts trouveront leur public. Nous sommes gourmands : nos salles sont souvent remplies à 100%, donc nous sommes déçus dès que nous retombons à 65%, mais c’est déjà pas mal sur une salle de 1.200 places.
Quels seront les grands événements de la saison symphonique ?
Il y en a beaucoup ! Cette saison, nous proposons au total 55 titres pour 168 représentations. Le ciné-concert Alexandre Nevski sera un moment important, qui renouera avec certaines traditions. C’est la deuxième fois que nous proposons ce type d’événements, qui sont assez rare de manière générale. C’est intéressant d’un point de vue symphonique : cela faisait partie des propositions de Giuseppe Grazioli. C’est aussi une manière d’innover. Le Concert du Nouvel An sera important aussi, c’est un moment festif : il y aura des musiques de films et 20 minutes d’extraits de la comédie musicale West Side Story. Quand nous avons programmé ça, nous ignorions que Steven Spielberg sortirait un film, mais cela montre que l’on est dans l’air du temps.
Nous proposons aussi des after-works qui sont des concerts autour d’un repas. Même si nous allons dans des maisons d’arrêt, des crèches ou des hôpitaux, c’est l’occasion pour l’opéra de sortir de ses murs pour aller chez notre partenaire Novotel. À ces occasions, nos artistes montrent qu’ils savent tout faire : il y aura un concert sur Nougaro, un autre avec des musiques de films, mais aussi du jazz, de la variété internationale, de la musique française et bien sûr, des grands airs d’opéra. Les gens adorent : il y a 50 places à chaque fois et elles partent très vite. Enfin, David Reiland reviendra diriger un concert dont le titre est Pas si classique : les gens qui l’ont apprécié lorsqu’il était Chef principal, vont pouvoir le réentendre. Il a aujourd’hui une belle carrière, est demandé un peu partout et devient compliqué à faire venir.
À titre plus personnel, vous avez prolongé votre mandat à la tête de l’Opéra de Saint-Étienne pour trois ans en 2017. Où en êtes-vous désormais ?
En France, les contrats sont de trois ans, mais on est réputé être en contrat à durée indéterminée au bout de six ans. Désormais, mon mandat n’est donc plus à durée déterminée. Cela ne change toutefois pas grand-chose : je me suis toujours projeté sur le futur pour la préparation des saisons, y compris lorsque je suis arrivé en 2014 et que j’étais en intérim.
Quel bilan faites-vous de vos sept premières années de mandat ?
Déjà, c’est pas mal, sept ans. Je suis content de mon bilan : je voulais rappeler que l’opéra est un art populaire, pour tout le monde. Quand je suis arrivé, l’Opéra de Saint-Étienne faisait un peu de tout. Il s’appelait d’ailleurs Opéra-Théâtre. J’ai voulu recentrer l’activité sur l’opéra, ce qui ne nous empêche pas de faire des programmations parallèles avec du théâtre ou du jazz. Je voulais faire de la création contemporaine, des ballets avec orchestre (ce qui est de plus en plus rare), des spectacles pour les scolaires, des récitals de voix : nous arrivons à faire tout cela et j’en suis très heureux. Je suis content aussi parce que le public et la presse nous ont suivis dans cette proposition. Pour chaque production d’opéra, nous accueillons des bus qui amènent des spectateurs d’un peu partout, ainsi qu’un grand nombre de journalistes, y compris d’Italie, du Luxembourg, d’Angleterre, intéressés par notre programmation.