Reconfinement de la France et de la Culture
"Ce n'est pas un échec mais ça n'a pas marché", expliquait le Président de la République Emmanuel Macron au sujet de l'application StopCovid que son Premier Ministre Jean Castex (promu à ce titre après avoir officié comme "Monsieur Déconfinement") avouait ne pas avoir installé et nommait fautivement "TéléCovid". La formule présidentielle prononcée le 14 octobre dernier s'applique aussi à l'annonce décidée alors : celle d'un couvre-feu entre 21h et 6h pour l'Île-de-France et huit métropoles, puis étendu la semaine suivante à 46 millions de Français. Rien n'y aura fait, nous replongeons dans un confinement sur tout le territoire à partir de ce vendredi 30 octobre et au moins jusqu'au 1er décembre.
Le couvre-feu permettait tant bien que mal aux lieux de culture de maintenir et de réorganiser une part essentielle et vitale de leur activité, mais la mesure n'aura donc pas suffi. Pourtant, s'il y a bien un endroit où les mesures étaient mieux respectées que partout ailleurs, c'est dans les théâtres comme nous avons pu l'attester depuis le début de la pandémie. La raison de ce civisme est à trouver dans le fait que la culture forme à l’empathie, à se soucier du collectif et de son prochain visiblement mieux que partout ailleurs (explication renforcée par le fait que le spectacle vivant sait bien qu'il est le premier puni des comportements fautifs de tous les autres secteurs, et le dernier à pouvoir reprendre ses activités). Autant de raisons de penser à la culture du spectacle vivant, à chercher et trouver des solutions comme nous nous employons à le faire depuis des mois.
Le couvre-feu devient donc un re-confinement, sauf pour les trois secteurs précisément problématiques puisque les écoles resteront ouvertes, le travail doit continuer, les EHPAD aussi continueront à accueillir du public : ce sont tout simplement les causes les plus importantes et les plus graves de contamination, tandis que les théâtres -où les règles sont respectées et où aucun cluster n'a été identifié à ce jour- sont (logiquement) fermés. Des annonces dans la droite ligne de ce qu'expliquait le Président de la République dans sa précédente intervention, en invitant les Français à partir en vacances, pour désormais se désoler du fait que le virus circule à travers le pays.
Emmanuel Macron explique que "nous avons appris" par rapport au premier confinement : en l'espèce qu'il a entraîné trop de conséquences et de dégâts, ce qui mène à ne pas vouloir bloquer le travail et les secteurs essentiels. Il est important à présent de montrer que la culture n'est pas un secteur moins essentiel que les "commerces non essentiels" pour celui qui expliquait en effet durant l'élection présidentielle qu'il "n'y a pas de culture française". Outre le fait, loin d'être anecdotique, qu'elle est un besoin irremplaçable de tout être humain, la culture est un secteur économique majeur. Les célébrations du World Opera Day le week-end dernier étaient une nouvelle fois l'occasion de rappeler les chiffres détaillés de cet impact économique global et capital (pour tous les territoires, en termes d'emplois et de retombées irremplaçables, durables, non-délocalisables et qui ne viennent pas renflouer des actionnaires spéculateurs, mais cultiver la population).
La France rejoint donc l'Italie et la Belgique où les chiffres également très inquiétants de contaminations et de décès ont mené aux mêmes mesures de fermeture des lieux de spectacles, contrairement aux pays germaniques qui luttent bien mieux contre la pandémie. Devoir tout annuler, encore, comme pour le premier confinement : voici donc ce qui attend les salles de spectacles. La seconde vague était pourtant censée être prévue, cela n'a toutefois rien changé sur ce point : le Gouvernement n'a pas donné les informations indispensables permettant d’anticiper ou de préparer les conséquences de ses décisions subites (aucun plan d'action clair n'a été communiqué ni aux citoyens, ni à la presse, ni aux professionnels selon des indicateurs clairs et publics, pas davantage pour cette seconde vague que pour la première). Une fois encore, comme pour la première vague, les salles de spectacles ont réorganisé tout leur planning (en avançant les horaires des spectacles, en reportant vers les week-ends) pour devoir tout annuler une semaine plus tard, ce qui implique à chaque fois de contacter tous les spectateurs et de renégocier tous les contrats.
L'état d'urgence sanitaire a été décrété pour autoriser couvre-feu et confinement, il s'agit désormais de décréter aussi l'état d'urgence culturel. Les aides financières, même si elles ont atteint des montants records, ne compensent pas les pertes. L'année blanche des intermittents leur permet de conserver leurs indemnités jusqu'au mois d'août 2021, mais elle ne résout pas le problème si la culture connaît une année noire, sans spectacles : en l'état il est impossible de travailler pour la plupart des artistes et techniciens indépendants, impossible donc de signer les contrats qui leur permettraient de continuer à percevoir leurs indemnités à la rentrée prochaine. Sans oublier les jeunes artistes et ceux en reconversion qui ne peuvent accéder au marché de l'emploi et donc à leur statut.
Plus que jamais l'État est attendu sur le volet culturel, y compris via le service public audiovisuel : les Français étant confinés chez eux et les artistes ne pouvant exercer leurs métiers, il est plus que jamais toujours temps que des spectacles d'art vivant soient diffusées sur les grandes chaînes aux heures de grande écoute, et pas uniquement sur Internet, sur France 5 et à minuit. Les artistes ont certainement infiniment plus besoin de cette visibilité (et des ressources de droits d'auteurs) que des films tels que Le Hobbit que France 2 diffusait encore hier en prime-time, entre autres films américains (comme les prochains au programme : American Traffic, Atomic Blonde) ou bien des séries disponibles ailleurs, sur les chaînes privées ou les services de streaming. D'ailleurs, le service nommé Salto que viennent de lancer les chaînes télévisées françaises pour concurrencer Netflix fait l'impasse sur le spectacle vivant, au profit de la diffusion de feuilletons et de séries tels que Dirty Dancing, Rocky ou Buffy contre les vampires. Pour rappel, l'opéra avait jusque très récemment sa place sur le service public avec même des créations capitales dans le patrimoine culturel mondial telles que Saint-François d'Assise de Messiaen qui avait été diffusé le 12 décembre 1983 sur Antenne 2. Quelques années plus tôt, il en allait de même pour Don Giovanni, Faust, La Cenerentola, Otello, et même Lulu de Berg, et il y a encore peu de temps de cela, les spectacles populaires des Chorégies d'Orange étaient retransmis chaque année à 21h, sur France 2 ou France 3.
La mesure de re-confinement décidée aujourd'hui n'interdit pas de travailler, elle doit donc autoriser les artistes à exercer leur métier, sauf que cela est rendu impossible puisque le public ne peut se rendre en salle et que les spectacles ne parviennent même pas au public confiné. Si l'État refuse véritablement d'arrêter l'économie, il peut trouver les moyens de maintenir l'économie de la culture, l'économie et la culture. Si les télévisions retransmettaient (avec le financement afférent) les spectacles qui sont programmés, répétés et prêts à travers la France, quelque chose de bon pourrait (enfin) sortir de cette crise.
En attendant la liste des spectacles victimes de la pandémie vient donc se rallonger :
Akhnaten à Nice
La Nonne sanglante à Saint-Etienne
La Dame Blanche à Compiègne puis à Tourcoing
Hippolyte et Aricie à l'Opéra Comique
Salomé au Théâtre des Champs-Elysées et le Récital Philippe Jaroussky
Le Ballet royal de la nuit à Lille
Werther à Lyon
Le Messie du peuple chauve en Avignon
Eugène Onéguine à Massy
Dreams à Rennes
Frankenstein Junior à Metz
Carmen à Toulon
La Clémence de Titus à Rouen
L'Italienne à Alger à Marseille
Pelléas et Mélisande à Bordeaux
Cav/Pag à Clermont
La Belle et la Bête à Caen
Journal d'un disparu à Montpellier
Monsieur Choufleuri restera chez lui à Reims
Le Singe d’une nuit d’été / Pomme d'Api à Toulon
L'Instant Lyrique de l'Éléphant Paname
Le Récital d'Anna Netrebko à Bordeaux puis à la Philharmonie de Paris
Osez Haendel au Théâtre du Chatelet
Faust nocturne à Limoges
Bien entendu, la Tétralogie à l'Opéra de Paris, décidément maudite... et bien d'autres encore (sans compter le risque que le confinement soit prolongé)