Pourquoi et comment les festivals ont-ils décidé d’annuler ou non ?
Cet article est le 2ème d’un grand dossier en 5 parties, qui détaillera les choix, décisions, actions et perspectives des Festivals face à la crise :
1. Les directeurs de festivals en colère contre le gouvernement
2. Pourquoi et comment les festivals ont-ils décidé d’annuler ou non ?
3. Comment les artistes engagés par les festivals ont-ils été indemnisés ?
4. Après les annulations, les regrets des festivals d’été
5. Festivals d’été : comment gérer le « jour d’après » ?
Face au manque d’informations venues du politique et à l’incertitude sanitaire, les directions de festivals se sont retrouvées seules pour décider du maintien ou de l’annulation de leurs éditions 2020, avec leurs conseils d’administration comme uniques interlocuteurs et soutiens.
"Cette crise du Covid nous a saisis au cœur de la saison qui anime le territoire tout au long de l'année, nous relate David Théodoridès, Directeur et co-fondateur du Festival Sinfonia en Périgord. Nous avions fait la conférence de presse pour annoncer le festival le 2 mars et la première semaine de réservations était plus qu'encourageante. Notre Festival connaît une vraie croissance, un ancrage fort sur le territoire, il est soutenu par de plus en plus de mécènes et d'enthousiasme du public. 2020 se présentait sous les meilleurs augures d'autant qu'il s'agit de notre 30ème anniversaire. Nous avions préparé un programme digne d'une édition prestige."
Julien Caron, Directeur du Festival de La Chaise-Dieu a lui aussi appris le blocage du pays à un moment particulier : "Le confinement est tombé sur nous comme une massue. Le soir même où le Président de la République allait l'annoncer, j'étais à la Comédie de Clermont-Ferrand pour assister au Bourgeois Gentilhomme avec Les Musiciens du Louvre : tout le monde s'est précipité sur son téléphone à l'entracte pour voir les mesures prises. Il y a eu beaucoup de difficultés à récupérer le silence et l'attention pour la seconde partie puisque tout le monde commentait, émettait des conjectures, était sous le choc. Je peux donc dire avoir participé à l'une des dernières soirées artistiques avant ce long tunnel de silence. Expérience forte et tragique.
La première étape et notre première action a été de préserver notre structure : organiser le télétravail, mettre en place l'activité partielle en gardant bien évidemment les liens avec les équipes. Ensuite, faire un tour d'horizon des ensembles et artistes invités. À la mi-mars, nous n'avions pas encore annoncé notre programmation, comme pour les festivals de Vézelay ou Berlioz à La Côte-Saint-André, nous devions annoncer tout début avril. Il fallait donc savoir comment gérer cette fenêtre avec le risque de communiquer un programme qui ne pourrait plus se tenir comme prévu, voire plus du tout."
"Dès le début, poursuit David Théodoridès du Festival Sinfonia en Périgord, nous avons compris, grâce à nos antennes dans le milieu médical, que le confinement serait plus long qu'annoncé. Étant donné notre emplacement temporel sur la dernière semaine du mois d'août, nous avions des raisons d'être confiants, même si nos concerts et actions de la saison seraient probablement annulés. Nous avons recherché les outils nécessaires et toutes les solutions possibles, nous avons cherché à obtenir du gel et des masques (quand tout le monde en manquait) pour les personnels mais aussi pour les publics. La situation s'est accélérée, mais très progressivement." Les scénarios étaient flous et incertains, mais en fait assez limités si tant est que les consignes sanitaires restaient telles que prévues : impossible dans la plupart des endroits de maintenir les distances entre les artistes et entre les publics, "sinon il aurait fallu démolir et rebâtir les lieux".
Le problème de décisions politiques floues et tardives est qu'elles mettaient en péril tous les festivals, quelles que soient leurs dates et leurs jauges ne serait-ce que parce que beaucoup d'artistes montent leurs tournées estivales en allant de lieu en lieu : si l'un des concerts est annulé, alors tout le modèle économique peut s'effondrer. Les hypothèses étaient presque toutes catastrophiques et donc d'autant plus incertaines qu'elles dépendaient les unes des autres. "Les ensembles ont préparé un programme avec une résidence ou une période de création, dont ils devaient ensuite amortir l’investissement par une série de concerts, si une partie d'entre eux est annulée, le festival à la fin de l’été ne peut pas prendre à sa seule charge l’ensemble des coûts de production (de la même manière que les opéras ont dû annuler des reprises de productions qui n'ont pas pu être créées pendant le confinement)" résume François Delagoutte, Directeur de la Cité de la Voix à Vézelay. D'autant que les lieux accueillant les ensembles plus tardivement dans l'été n'ont pas nécessairement (voire la plupart du temps pas du tout) les lieux ni l'organisation pour accueillir des résidences artistiques d'élaboration de programme.
Selon les dates du festival, les lieux et les artistes, les questionnements étaient différents mais les difficultés universelles. Le Festival de La Chaise-Dieu avec son calendrier (du 20 au 30 août pour 2020) à cheval entre la fin de l'été et le début de la pré-rentrée pouvait avoir un double espoir en tant que lieu de fin de tournée d'été pour des ensembles et de début de saison pour d'autres, il a toutefois dû annuler également. "Nous prenions constamment des nouvelles de toutes les équipes et de toutes les tournées pour savoir si elles étaient remises en cause, relate Julien Caron. Je dois dire que le premier tour d'horizon avait été assez rassurant. Les prévisions n'étaient bien entendu pas sereines mais nous pouvions rester constructifs, sans pour autant nullement évacuer l'idée d'une annulation.
Mi-avril, suite à l'allocution du Président de la République (le 13 avril 2020), les inquiétudes se sont traduites en annulations de grands événements tels que le Festival d'Avignon. Nous avons néanmoins décidé d'annoncer notre programme (après avoir reporté notre phase de lancement et annulé nos conférences de presse). Nous avons communiqué en deux temps, avec la publication sur internet et en adressant la brochure à nos adhérents-abonnés tout en indiquant bien sûr le risque fort qui se profilait (mais ces plaquettes avaient été imprimées avant le confinement). C'était l'occasion de fédérer le public et de continuer à exister."
Pour le Festival d'Ambronay, dont l'édition 2020 devait débuter le 12 septembre, "nous avons suivi les annulations inéluctables de juin-juillet, relate son Directeur adjoint Pierre Bornachot. Étant données nos dates, nous avons souhaité maintenir. Mais changer, remodeler en essayant de rester au maximum flexible selon les bonnes et les moins bonnes nouvelles qui pouvaient continuer d'advenir et les injonctions sanitaires, n’aurait pas été responsable (d'autant que nous assistons actuellement à des recrudescences de cas et même des reconfinements à travers le monde). Les informations étaient extrêmement complexes à recueillir et à gérer, avec énormément d'incertitudes, beaucoup de flou : c’est ce qui a motivé la décision d'annuler simplement plutôt que de prendre des risques."
La crainte de poursuites en cas de problème
Les exigences sanitaires entraînent un surcoût et une organisation impossible à mettre en place dans certains lieux et qui fait peser sur les directions le poids de responsabilités comme la crainte de poursuites.
"Nous avions envisagé d'utiliser des tests pour assurer aux artistes qu'ils n'étaient pas contagieux, voire qu'ils étaient immunisés, mais nous avons été retoqués : cette pratique serait interdite et illégale. La doctrine officielle de tests consistait alors à les réserver aux personnes symptomatiques. D'autant plus que les artistes avaient droit de refuser les tests et que nous ne pouvions refuser d'engager un artiste positif sous peine d'être condamnés pour discriminations. Il a donc fallu se résoudre à annuler", argue un Directeur.
Une Directrice a pu maintenir quelques événements, en reprogrammer une poignée grâce au soutien exceptionnel d'un mécène prêtant des lieux plus spacieux, mais elle a longuement hésité et fera appliquer scrupuleusement le protocole sanitaire le plus strict : "même si la situation s'améliore ces prochaines semaines et même si des lois étaient votées pour nous protéger, même si tous les artistes ou les spectateurs en venaient à s'engager à respecter les protocoles en signant des contrats et des décharges avec leur sang, je maintiendrai la jauge minimale. Il n'y aura qu'un siège sur deux, même pour les couples mariés depuis 40 ans : je ne veux pas prendre le moindre risque car en dernier recours, c'est nous qui serons responsables et personne d'autre. Nous serons responsables et au pénal."
Maintien des exigences artistiques
"Nous avons évalué tous les scénarios, poursuit Ambronay, mais nous voulons subir le moins possible, donc nous avons écarté d'emblée l'idée d'un festival allégé. Nos grandes créations sont reportées à l'année prochaine, nous avons privilégié les artistes avec lesquels nous tissons des relations sur le long terme, afin d'explorer de nouvelles voix : le festival de cette année s'appellera Exploration."
Ce choix a aussi été fait pour conserver une cohérence artistique au festival, pour ne pas devoir changer les programmations à chaque évolution politique ou sanitaire. "Hors de question de faire une édition au rabais, annonce François Delagoutte pour Vézelay. Nous aurions pu organiser quelques concerts en extérieur et alléger la programmation, mais un Festival c'est une histoire. Pour nos Rencontres musicales ce sont de grandes productions autour du grand répertoire, notamment sacré, et des moments de convivialité avec des concerts gratuits à travers différents lieux. Un Festival c’est un tout qui se pense, mûrit pendant des mois avec les artistes et les équipes. Offrir un événement tronqué c’est trahir son âme, son identité. L’annulation est un deuil, celui du temps et de la musique. Reprogrammer est difficile, nous ne voulions pas proposer au public une programmation qui ne correspondent pas à ce que l’on est."
Mêmes engagement et philosophie pour Julien Caron : "La Chaise-Dieu a un ADN artistique fondé sur la musique sacrée et symphonique. Proposer une reconfiguration qui aurait abouti à un émiettement, une contraction en un festival de chambre ou un événement en plein air ne me paraissait ni possible économiquement, ni viable sur le plan artistique. Réduire à une peau de chagrin ne me paraissait pas souhaitable."
"L'objectif d'un festival n'est pas d'enchaîner des concerts sans cohérence, embraye David Théodoridès (Sinfonia en Périgord), mais au contraire de composer des projets artistiques cohérents, sur du long terme, d'accompagner des initiatives et des créations même si dans les catégories et les critères de l'État, la musique ne fait pas partie des 'arts vivants'".
Annuler, reporter ou reprogrammer ?
Différents festivals en différents lieux et à différentes dates ont fait des choix très différents, selon leurs situations (situations au pluriel : selon tous leurs paramètres, infiniment différents d'un lieu à l'autre, selon leur emplacement géographique, leur espace, leur public, leur région, leur histoire, leur programmation, leur identité, etc.). Tous nos interlocuteurs insistent sur le fait qu'ils ne portent aucun jugement sur les choix de leurs collègues, tant les situations sont différentes.
Le Directeur du Festival de La Chaise-Dieu, Julien Caron, nous raconte tout le processus de décision qui a justement consisté à étudier chacune de ces hypothèses. "Nous avons réfléchi à trois pistes : reprogrammation, report, annulation. Les données logistiques de La Chaise-Dieu (située à 1 km d'altitude) sont à la fois géographiques et climatiques. Un report au-delà de la fin du mois d'août est de fait inenvisageable (il fait tout simplement trop froid dans l'abbatiale) et le climat début septembre est déjà très incertain. Il aurait en outre fallu trouver des accords et des possibilités avec les ensembles invités (même si cela a été possible pour certains festivals de juillet, comme La Roque-d'Anthéron qui a décalé une partie de ses concerts). De surcroît, nous empruntons l'abbaye à la vie monastique dont c'est la vocation première et qui y a ses droits toute l'année. L'emprunter à un autre moment est compliqué : nous sommes aussi sur ce calendrier spirituel, après les Festivités de l'Assomption et avant la rentrée. En outre, cela n'aurait pas été pratique voire possible pour tous nos bénévoles étudiants, qui doivent faire leur rentrée en septembre. Quant aux reports en d'autres lieux, un festival privé de son cœur battant qu'est La Chaise-Dieu est inconcevable, c'est notre lieu de vie, notre point de ralliement pour toutes les équipes, artistes, bénévoles, touristes, mélomanes.
Toujours en tenant compte des installations logistiques, économiques, artistiques, calendaires, climatiques, nous avons envisagé pendant quelque temps la question de la reconfiguration avec plusieurs paramètres. Mais changer, même pour un an, l'identité, le caractère artistique du festival (en passant du symphonique au chambriste) nous paraissait très dangereux pour l'image du Festival. Depuis 55 ans nous portons un projet sacré et symphonique. Pour des raisons plus économiques, notre modèle autofinancé à 70 % (reposant à 50% sur la billetterie, à 20-25% sur le mécénat) était un risque considérable face à la crainte que pourrait ressentir le public à venir et/ou à la limitation drastique de son nombre. Nous ne pouvions pas nous y retrouver avec seulement 300 places.
Enfin reconfigurer signifie annuler un certain nombre de spectacles pour en reprogrammer d'autres, ce qui entraînait le surcoût de l'indemnisation (à laquelle je tiens absolument) et de nouveaux engagements de dernière minute. Le tout avec cet immense plateau dans ces hauteurs qui demande 3 jours de montage et 2 jours de démontage grâce aux équipes techniques et à une centaine de bénévoles qui vient nous prêter main-forte (une installation qui coûte 50.000 € au bas mot, mais il ne faut pas négliger la valorisation du bénévolat).
Alors nous nous sommes résolus à l'annulation, d'autant que dans notre cas, ce n'est pas une première. Les éditions ont été annulées en 1970 et 1972, mais le Festival a survécu : cela a beaucoup joué dans notre réflexion avec le Conseil d'Administration. Notre longue histoire a montré qu'annuler, ce n'était pas un risque de disparition.
Dans cette phase de réflexion qui nous a poussés à prendre le chemin de l'annulation, un consensus a été trouvé en consultant tous nos partenaires et même en obtenant l'unanimité en Conseil d'Administration. À cette période, seuls les événements de plus de 5.000 personnes étaient sous le coup d'une annulation administrative. La réponse du préfet était une recommandation d'annulation, nous avons pris une mesure de précaution. C'est à ce moment que la programmation s'est de toute manière effondrée avec l'annulation en château de cartes des autres festivals partenaires de tournées. Nous n'avons pas souhaité reporter la 54ème édition de 2020 (pas même le numéro 54 qui restera celui d'un projet impossible) mais l'annuler et nous projeter vers la 55ème édition de 2021.”
Autre temporalité, autre lieu, même processus, résultat similaire à Vézelay : "Lorsque le confinement a débuté, nous avons pris la mesure de la situation mais avons comme tous dû évoluer jour après jour d'après les informations incertaines, le calendrier d'annonces du chef de l'État phasé dans le temps : une actualisation toutes les 3 semaines. J'étais plutôt confiant pour pouvoir sauver notre festival situé à la fin du mois d'août. Nous avons alors décidé de présenter la programmation, d'imprimer la brochure, en repoussant l'ouverture de la billetterie pour avoir du temps. Mais Vézelay est un endroit très particulier : une petite commune au grand rayonnement (Patrimoine mondial de l'UNESCO) avec la caractéristique qu'il faut tout louer et tout installer (un énorme travail).
Toutes nos évaluations ont été faites en équipe et en dialogue avec chacun pour savoir ce que nous pouvions faire, jusqu’où et dans quelle mesure. Nous avons ainsi fixé une date butoir au-delà de laquelle il deviendrait impossible d’organiser, de mettre en place, de mobiliser les bénévoles ainsi que les partenaires. Ensuite, plusieurs étapes se sont enchaînées. Force était de constater que la situation ne s’améliorait pas, que les conditions d’accueil du public devenaient plus contraignantes (1000 dans la Basilique de Vézelay à réduire des 2/3), que les décisions ne venaient pas : le tout venant fragiliser l’événement. Mais nous avions bel et bien une première proposition : capter à huis clos dans la basilique et envisager des retransmissions des grandes productions pour lesquelles nous étions co- producteur. Tout tenait économiquement. Une fois le festival de Vézelay annulé, nous avons discuté avec les artistes au cas par cas, en valorisant nos fidélités et l'engagement des artistes. Ce seront des reports et dans la plupart des cas nous avons pu assumer le reste à charge, grâce au soutien de notre Conseil d'Administration."
Le Festival Sinfonia en Périgord a également dû annuler : "L'impact économique de la crise, avec la perte des revenus liés aux mécènes et à la réduction des jauges, sans compensation de l'État, questionnait la viabilité même du festival, pour cet été mais aussi pour la suite. Nous commençons à être rassurés aujourd'hui mais la décision fut néanmoins inéluctable : les événements à organiser se préparent longtemps à l'avance et nécessitent d’engager des frais. Il faut réserver en amont la VHR (Voyages, Hébergement, Restauration), ordonner et régler les travaux et installations techniques. Les campagnes de communication devaient redémarrer fortement avec des budgets non négligeables (et nous ne pouvions même plus déposer de flyers). La question était donc d'engager de fortes dépenses, plus celles du protocole sanitaire qui s'ajoute à Vigipirate, malgré une incertitude sur les ressources de l'événement. On nous a demandé de faire un pari, qu'il devenait impossible de prendre. Alors en dernier recours nous nous sommes retournés vers la préfecture qui nous a demandé de reporter nos événements à 2021."
L'occasion donc de constater une inéquité territoriale selon les différentes mesures imposées ou autorisées de préfecture en préfecture : au final, les festivals sont restés coincés, cherchant des informations entre local et national sans message clair national et sans liberté d'initiative laissée aux festivals eux-mêmes.
Le Directeur du Festival d'Aix-en-Provence, Pierre Audi, a pour sa part pris la décision dès l'allocution présidentielle : "Une grande incertitude s’est installée partout dans le monde avec le développement de l’épidémie. La décision d’annuler tous les festivals d’été jusque mi-juillet a été prise par les autorités et annoncée par le Président de la République le 13 avril. Il n’y avait alors plus d’alternative, le maintien ou le report de la décision n’étaient pas des options. Très vite, j’ai souhaité étudier avec les équipes du Festival différentes possibilités pour que le Festival d’Aix existe cet été, notamment grâce au streaming. Les répétitions et captations que nous organisons cet été sont un vrai challenge, car nous avons dû nous adapter très précisément au cadre juridique et sanitaire français : il a fallu être à la fois très respectueux des normes et très inventifs."
"Le transfert du Festival sur le plan virtuel m'a paru dangereux (économiquement et pour le maintien du lien avec le public, comme son retour ensuite) nous confie un autre Directeur. Pour nous, cela aurait été une perte de sens. J'aime beaucoup l'idée d'une évocation numérique (comme le fera le Festival de théâtre avec Un Rêve d'Avignon : donner à rêver pour attiser l'envie de se retrouver). Nous ferons des cartes postales numériques avec le soutien de France Musique et France 3."
Reprogrammer, mais comment ?
De la colère à l'angoisse, pour ceux qui ont sauvé des concerts, la situation est d'une complexité terrifiante : "Tout annuler purement et simplement aurait été moins de travail : il suffisait de payer des dédits, rembourser les billets, tirer un trait sur les dépenses comme sur les recettes et voir pour l'année prochaine." Moins de travail mais infiniment plus de frustration. Saintes voulait faire un programme qui lui ressemble alors il a été choisi de faire sans public présent, un Festival à huis clos mais capté et retransmis : "Faire un festival avec public même dans une abbaye aurait été un calvaire. Enlever le public nous ôte notre cœur mais aussi en même temps la difficulté majeure, la non-viabilité de concerts avec 1/3 de public, plus les désinfections permanentes à faire entre chaque concert dans tous les espaces (sans même être sûr que des entreprises puissent s'en charger à cette époque)", nous explique le Directeur artistique Stefan Maciejewski. "L'idée nous est venue en voyant sur Arte en avril la retransmission de Fidelio mis en scène par Christoph Waltz pour le 250ème anniversaire de Beethoven, là où l'œuvre fut créée en 1805 : dans le Theater an der Wien, mais vide. Nous avons décidé de faire cela, et il aura fallu tout réorganiser, replanifier, évaluer les faisabilités matérielles, économiques, artistiques", nous détaille Odile Pradem-Faure, Directrice de l'association Abbaye aux Dames.
Pour la Direction artistique et générale, "nous partons donc d'une page blanche, d'une abbaye vide : l'occasion de faire des captations inédites, sans scène, sans chaise, j'espère qu'on pourra même enlever les horribles tapisseries et nous trouverons les meilleurs angles possibles. Cela ne ressemblera pas aux éternelles captations avec une caméra en face, deux caméras de chaque côté et le public bien aligné. Ce sera l'occasion d'innover encore davantage pour les captations avec davantage d'emplacements et de déplacements de caméras robots, de grues, pour profiter de l'abbaye vide, pour montrer quelque chose qu'on ne verra plus jamais, un lieu vide empli de musique, des détails d'architecture, du dessus, en extérieur, en plans larges et macroscopiques. Pour Saintes, cette édition sera exceptionnelle mais dans le sens purement factuel, nous n'avons qu'une envie, celle de retrouver notre public.
Nous parlions et parlons encore avec les artistes en permanence pour recueillir leurs projets, les reconfigurations de répertoire et même de géométries possibles pour eux durant les concerts afin de respecter les normes sanitaires et d'offrir une configuration unique.Cela étant, les captations sont également précieuses pour nous, pour montrer de belles images. Ce n'est pas du tout pour cela que nous les avons décidées mais elles permettent une et même plusieurs campagnes de communication, cet été et les années prochaines."
Le Directeur d'un autre Festival dans une belle église met en garde : il ne faut pas reprogrammer un ensemble de 2020 vers 2021 si cela revient à annuler un autre ensemble prévu en 2021. Ne pas non plus programmer des orchestres symphoniques dans des versions trop réduites (les phalanges philharmoniques ne doivent pas prendre le métier des orchestres de chambre). "Mais qui choisir, qui reprogrammer ? Trop souvent on ne prête qu'aux riches et si nous voulions intéresser le public, ainsi que des télévisions, il fallait aussi choisir les grands noms et les grands titres, mais pas des œuvres récentes encore au catalogue de streaming des diffuseurs. Tout devient une prime à la célébrité alors que les jeunes en auraient le plus besoin."
Le choix des annulations ou reprogrammation s'est fait en deux phases à La Chaise-Dieu : observation et consultation puis négociation. "Nous avons décidé de ne pas faire de reports pour deux raisons. Reporter signifie imposer le même programme, la même distribution l'année suivante. J’ai préféré réengager les ensembles sur leurs programmes de la saison prochaine. Il s'agit de ne pas créer des difficultés supplémentaires pour une situation qui sera déjà assez difficile.”
Cet article est le 2ème d’un grand dossier en 5 parties, qui détaillera les choix, décisions, actions et perspectives des Festivals face à la crise :
1. Les directeurs de festivals en colère contre le gouvernement
2. Pourquoi et comment les festivals ont-ils décidé d’annuler ou non ?
3. Comment les artistes engagés par les festivals ont-ils été indemnisés ?
4. Après les annulations, les regrets des festivals d’été
5. Festivals d’été : comment gérer le « jour d’après » ?