Marine Chagnon, nommée aux Victoires de la Musique Classique : "Chaque rôle est un premier rôle"
Marine Chagnon, quels ont été vos premiers contacts avec l’opéra et le chant lyrique ?
Mon grand-père était chef d’orchestre, mais uniquement de musique symphonique et il a été agréablement surpris en venant me voir à l’Opéra de Paris pour La Cenerentola au début de cette saison pour ma prise du rôle de Tisbe et mes débuts au Palais Garnier. Il a fait carrière, remportant le premier prix du Concours de Besançon, il connaissait Claudio Abbado, il est parti aux États-Unis. En rentrant, il a travaillé avec l’Orchestre Pasdeloup pendant des années, aussi sur la transmission dans les écoles (quand j’étais petite, je venais déguisée en Mozart pour les concerts aux enfants, alors que j’avais leur âge : forcément, cela a joué dans mon amour de la scène).
J’étais au conservatoire de Dijon dans la chorale qui est devenue le Chœur des enfants de l’Opéra de Dijon pendant que j’y étais. Je ne connaissais alors la scène que par la danse et, soudain, être sur une scène d’opéra avec des chanteurs, des costumes, du maquillage et l’orchestre, je m’en souviens comme d’une sensation de plénitude : je me suis rendue compte qu’en fait, on peut faire tout en même temps et que je peux avoir mille vies en une. J’imaginais dans ma tête les histoires de tous les rôles, leur passé, leur futur, tous les voyages que je pourrais faire avec eux et je suis devenue accro. Ce n’était pas tant l’amour de l’aigu qui me faisait vibrer, que ce voyage théâtral, psychologique : une sorte d’optimisation de ma vie à moi avant qu’elle ne commence vraiment, pour en faire le plus possible.
Vous avez terminé en cette année 2022 votre Master au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Que retenez-vous de cette formation, encore toute récente ?
Le CNSM est venu tard, alors que j’avais déjà eu des opportunités de monter (très tôt) sur scène, même si ma voix était encore en potentiel. Mais comme j’avais fait de la danse, du théâtre, de la chorale, la scène était comme la maison pour moi, et c’est sur scène que j’avais l’impression d’apprendre. L’idée de rentrer au CNSM était cependant là depuis très longtemps, mais je n’y arrivais pas : j’ai passé quatre fois le concours, je suis arrivée à chaque fois à la finale, mais chaque année ça ne passait pas, à cause de ma tessiture. La première année, je l’ai passée en mezzo, on m’a dit que j’étais soprano, la deuxième année, je l’ai passée en soprano, on m’a dit que j’étais mezzo, la troisième année, j’ai hésité, j’ai continué en mezzo et la quatrième année, je suis rentrée.
Pendant ces quatre années, je me suis entraînée ailleurs, j’ai essayé de me nourrir de plein d’autres enseignements, mais je ne pouvais pas me retirer de la tête qu’il fallait que je rentre dans cette école, non pas à cause du prestige, mais afin de construire pendant cinq ans mon instrument, techniquement, musicalement. De fait, quand je suis arrivée, on m’a dit que mon niveau artistique et scénique était très bon, mais il a fallu travailler très dur toute la technicité de la voix. C’était très difficile de mettre de côté ma part artistique mais je l’ai accepté et j’ai eu des professeurs géniaux (les classes de Valérie Guillorit et d’Élène Golgevit qui est toujours ma professeure et qui est la personne avec laquelle j’ai le plus travaillé).
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Vous avez également pu profiter de masterclasses d’artistes renommés : que vous ont-elles apporté de différent, par rapport aux cours, et qu’en avez-vous gardé ?
Les masterclasses, c’est un tout autre travail, avec peu de temps et parfois devant un public, donc dans une forme de représentation (il faut faire un peu le show). Avec Ludovic Tézier (que j’ai retrouvé sur scène grâce à l’Académie de l’Opéra de Paris), j’ai ainsi travaillé en masterclass publique et privée. Ça a été exceptionnel, parce qu’il sait réunir en une phrase la technique, la musicalité, le rôle, l’artiste (au-delà même du chanteur). Ça a été révolutionnaire pour moi.
Avec Anne Sofie von Otter, c’était un rêve qui se réalisait, car c’est la chanteuse qui m’a donné envie de faire ce métier. Pourtant, pour être très honnête, c’était une expérience plus difficile de prime abord, car lorsqu’on rencontre des gens qu’on a aimé en tant qu’artiste, ce n’est pas toujours ce qu’on avait imaginé. Avec sa culture suédoise, que je connais pourtant très bien, elle me proposait une analyse froide et factuelle de tout ce qui n’allait pas. J’ai donc décidé de me positionner autrement et de lui demander moi-même tout ce que je voulais savoir et apprendre d’elle. La masterclasse s’est alors métamorphosée.
Travailler avec de tels artistes permet de saisir la manière de raconter des histoires, et de ne pas simplement rester sur la technique en première étape de travail. C’est pourquoi il est très précieux d’avoir à la fois des professeurs pour la technique, et des guides-solistes qui connaissent la scène et font part de leur expérience : aussi bien des coachs (tout au long de son parcours) que des masterclasses et puis des collègues.
Vous avez rejoint plusieurs académies, dont l’Académie Jaroussky en 2018 (promotion Vivaldi) : qu’est-ce qui vous a poussé à y postuler ?
J’avais déjà chanté avec Philippe Jaroussky dans les chœurs à la Maîtrise des Hauts-de-Seine, et même en tant que soliste, remplaçant une chanteuse qui était tombée malade le matin même. J’avais 18 ans, et hop, j’ai chanté Vivaldi avec Philippe Jaroussky qui m’a fait confiance. J’ai adoré son énergie et, quelques années après, une de mes amies m’a recommandé cette académie qu’elle avait suivie. Ce qui est génial avec Philippe, c’est qu’il est pédagogue, mais avec un côté « pas prof » : il écoute, donne des conseils, mais avec une grande humilité, presque déconcertante, mais qui m’a donné beaucoup deconfiance. Il est très généreux, il nous suit d’ailleurs toujours, comme un papa et nous sommes toujours en contact avec lui et l’équipe de son Académie. Je trouve que c’est une académie très jolie dans la façon de faire.
Comment s’est passé votre parcours à l’Académie de Royaumont, où vous avez participé à plusieurs projets ?
Royaumont a été ma maison pendant des années. C’était ma première année à Paris et j’avais 17 ans quand j’ai auditionné. L’équipe est géniale, j’ai eu des masterclasses avec Emmanuel Olivier, Mireille Delunsch (encore une actrice qui chante et dit les mots). Elle m’a montré qu’on pouvait prendre une partition et la rendre de deux manières : soit en partant de la musique et de ce que le compositeur a écrit et ressentait, soit de ce que ressentait celui qui a écrit les mots, le librettiste ou le poète, pour essayer de voir comment le compositeur l’a interprété.
Il y a aussi eu Le Voyage à Reims, un projet dans tout Royaumont avec une mise en scène qui se déplace. J’avais un tout petit rôle, mais c’est l’un de mes meilleurs souvenirs, de travailler ainsi avec des gens passionnants, et pour du Rossini, qui est devenu un amour total.
J’ai aussi eu deux autres masterclasses avec Patrice Caurier et Moshe Leiser, une rencontre déterminante. La première était sur Rossini, nous avons travaillé Rosine, puis fait des duos et des ensembles, avant Emilia dans L’Otello de Rossini. Ils m’ont montré une autre façon de découvrir Rossini, via leur propre interprétation. Ils ont aussi été exigeants avec moi, c’était dur, mais quand on commence comme ça, jeune, avec des gens pareils, on est soi-même exigeant sur la direction d’acteur qu’on reçoit ensuite.
Faisant le lien entre votre formation et votre parcours artistique, vous avez interprété Mélisande dans le cadre d’une web-série du CNSM. Comment s’est déroulée cette expérience, dans une forme aussi originale ?
Ç’est une autre aventure. Il aurait dû s'agir d’un spectacle “normal”, mais le Covid est passé par là. C’était la deuxième vague, le CNSM avait peur qu’il y ait des cas... et puis Emmanuelle Cordoliani a eu cette idée folle, durant une visio de travail et de réflexion de groupe : au lieu de faire une énième captation, nous allions penser ce format hybride mêlant chant, interviews, introspection. C’était un objet assez unique et qui m’a permis d’appréhender ce rôle que j’aimerais vraiment chanter un jour. Certains de ses aigus sont difficiles pour une mezzo, mais j’ai un aigu aux teintes juvéniles (pour lequel on m’a justement beaucoup embêtée dans le choix de ma tessiture, alors c’est une belle revanche). Certaines mezzos offrent des couleurs très différentes à ce rôle et le personnage me fascine totalement. Au contraire de ce qu’on en fait souvent, à savoir une sorte de chose déshumanisée, je l’ai travaillé comme une boule de vie, ternie au fur et à mesure par ce royaume, cet endroit, ces personnalités, mais qui a justement un feu en elle. Je verrais bien aussi à l’avenir le rôle de Charlotte : pour le théâtre, mais surtout pour la partition, l’orchestre, Massenet.
Comment avez-vous vécu la crise sanitaire, qui a eu un impact terrible sur la culture et les jeunes artistes ?
Ça a été douloureux. J’ai beaucoup travaillé, surtout sur La Belle et la Bête de Philip Glass à Royaumont qui a été annulé. C’était une partition exigeante, un premier plan pour moi, un projet original (dans le format avec le film de Cocteau projeté, la mise en scène devant, le rapport entre l’actrice qui joue et moi qui chante, le rapport avec le chef à la seconde près pour se synchroniser avec les images).
Mais le Covid a quand même été une période très importante pour moi, parce que pour la première fois, j’ai été seule dans ma pratique, dans mon métier, à me dire « qu’est-ce que je fais, avec mon piano, mes partitions et ma voix ? » Ça m’a vraiment appris à travailler toute seule, à me rendre compte que je pouvais être mon propre professeur, ce qui est précieux pour un artiste qui ne peut pas tout le temps être entouré de ses coachs. Beaucoup de chanteurs passent leur temps à chanter et s’appuient avant tout sur la pratique, d’autres travaillent à la table leurs partitions et mentalisent, et j’ai compris que j’étais beaucoup plus comme ça, que je me fatiguais moins. J’ai maintenant cette confiance en mon indépendance, en ma capacité à aborder les partitions seules, ça a vraiment été très important pour moi. C’est aussi pour cela que, quand je suis revenue en cours, j’étais beaucoup plus à l’initiative dans ma formation, j’avais des demandes claires, je savais ce que je voulais précisément travailler. Ça m’a permis de m’axer sur ce que je voulais faire moi, de me spécialiser sur ma personnalité et sur ce que je voulais donner en scène.
Vous avez déjà abordé des rôles très différents, avec aussi des rôles-titres et principaux comme la Didon de Purcell, Poppée chez Monteverdi, La Giuditta et même La Périchole. Comment préparez-vous ces différents rôles, genres et répertoires ?
Déjà, ma préparation technique arrive après ma préparation mentale. Ma construction du personnage doit être forcément souple, car on ne sait pas à quelle sauce on sera mangé dans le travail avec le chef et le metteur en scène : nous ne sommes pas libres là-dessus. Mais pour interpréter, je dois déjà m’être construite par rapport à qui je suis. C’est donc très différent de chanter une partition inédite ou bien un rôle vu mille fois en scène. Par exemple, moi qui baigne dans le baroque depuis des années, j’ai vu plein de mises en scène du Couronnement de Poppée alors, quand on me dit d’incarner Poppée, je me dis, quelle Poppée ? J’en ai vu des amoureuses, des vicieuses… Il faut faire des choix sur ce que dit Monteverdi, et j’ai vraiment envie d’humaniser les personnages. C’est ce que j’ai voulu faire avec Didon, avec justement Poppée, dans le cadre de la production de l’Académie de Paris à l’Athénée la saison dernière, comme je le ferai cette saison, en avril-mai 2023, pour Lucilla dans La scala di seta de Rossini -un rôle que j’ai déjà abordé en 2020 au Conservatoire. C’est de la même façon que j’ai envisagé La Giuditta de Scarlatti avec l’Académie également, à La Grange au Lac et à La Chaise-Dieu et je reprendrai d’ailleurs ce rôle en juin à l’Auditorium du Louvre.
Je n’avais pas envie que Didon soit juste tragique, que Poppée soit juste vénale, Lucilla juste curieuse et Giuditta juste sournoise, ça ne m’intéressait pas. Je déteste quand un personnage est réduit à un trait. Quand on me dit que Carmen est séductrice, si elle n’est que cela, alors elle n’a aucun intérêt et il suffit d’en avoir vu trois versions pour que la question soit réglée.
Une professeure m’a dit un jour une phrase essentielle que j’ai toujours gardée avec moi : il faut aimer les personnages qu’on interprète, même les pires. Il faut leur trouver quelque chose, un lien avec eux, une part d’humanité, comme pour les défendre. Je cherche donc souvent ce que je peux aimer en eux, et s’il n’y a vraiment rien dans l’action, alors je reconstruis moi-même leur passé et leur futur. Enfin pour le travail technique, je prépare d’abord à la table, sans poser ma voix, sans m’emballer sur les grandes phrases que j’adore mais dans un travail méticuleux qui demande beaucoup de temps, d’investissement, avec les coachs également.
Enfant, vous imaginiez donc les vies de chaque personnage, désormais vous les composez pour les rôles-titres. En faites-vous toujours autant pour vos prises de rôles moins exposés, souvent mis en retrait mais qui marquent vos débuts dans deux prestigieuses maisons : Kate Pinkerton (Madame Butterfly) en novembre dernier à l’Opéra de Bordeaux puis Flora (La Traviata) à l’Opéra de Nancy en juin/juillet 2023 ?
En effet, et je suis ravie de faire ces rôles, qui ne mettent pas la pression des premiers rôles (parfois difficiles à vivre), mais que je travaille comme un premier rôle. Qui peut dire que Kate Pinkerton n’a aucun intérêt, alors que c’est la clef de l’histoire ? Si elle n’était pas là, l’histoire serait totalement différente. Un petit rôle n’est pas un rôle inexistant et contribue pleinement à la production. Cela me permet aussi de chanter Puccini, qui m’a fait aimer l’opéra, avec une partition montrant aussi mes aigus, et puis c’est à Bordeaux. Quant à Flora, c’est un beau rôle, il y a souvent de beaux costumes, elle participe aux scènes collectives et j’aime chanter avec les autres.
Les trois prises de rôle de cette saison dans trois si belles maisons sont autant d’aventures et je préfère qu’on se dise en m’écoutant : « J’en ai entendu un peu, j’aimerais en entendre plus » plutôt que l’inverse.
Vous allez participer à une série de récitals dédiée aux mélodies de compositrices françaises, à Bastille, au Palazzetto Bru Zane et au Festival de la Sarr. Quels sont vos liens avec ce répertoire ?
Pour ma part, je chanterai du Cécile Chaminade, qui a déjà été un peu enregistrée et que j’adore. L’énergie de cette femme déploie quelque chose de très vivant, et je me suis dit que j’avais été bien distribuée, car c’est vraiment ça que j’aurais eu envie de chanter. Là encore, Anne Sofie von Otter a enregistré un disque merveilleux de mélodies de Cécile Chaminade, donc j’ai vraiment pu écouter beaucoup et faire ma sélection.
Deux soirées de galas vous attendent d’affilée à l’Opéra Garnier en décembre puis en janvier : celles de l’Académie de l’Opéra de Paris et la Carte blanche de Gustavo Dudamel. Est-ce que cela représente de nouveaux enjeux pour vous ?
Beaucoup de stress, oui ! Mais c’est génial, j’ai hâte, surtout après avoir travaillé un mois à Garnier pour La Cenerentola. Je sais que je vais vivre ces concerts totalement différemment, parce que j’ai créé des souvenirs là-bas, j’arrive même à me projeter, ce qui est difficile dans une salle nouvelle, alors justement que la visualisation est un outil de canalisation et de lutte contre le stress. Pour le concert de décembre, je me suis battue pour chanter Rosine et je vais chanter Rosine : j’arrête aussi de me cacher derrière de petits airs et j’assume de montrer mon travail tel qu’il est.
La carte blanche de Gustavo Dudamel va être un grand moment. J’ai proposé de faire la scène de Trouble in Tahiti et je suis contente qu’elle ait été retenue car c’est mon univers qui va se connecter. Avoir des morceaux que j’aime défendre et qui ont du sens théâtral, même en concert, cela me réjouit. Et Gustavo a une énergie dingue, c’est lui qui a dit qu’il fallait faire une partie du concert avec l’Académie. Nous proposerons aussi un extrait de West Side Story, ce qui sera plus difficile car nous ne sommes pas sonorisés – je fais le duo A boy like that qui est très grave, que nous allons tranquillement nous approprier et adapter (car personne ne chante ça avec orchestre dans une grande salle, ou alors des mezzo lyriques avec des graves énormes, ce qui n’est pas mon cas). Mais nous allons trouver, ensemble et dans le travail.
Vous avez déjà enregistré votre premier disque, Ljus, avec la pianiste Joséphine Ambroselli, un album de mélodies suédoises fin XIXe début XXe siècle. D’où vous est venue l’idée d’un tel projet ? Vous évoquiez tout à l’heure Anne Sofie von Otter et la Suède, y a-t-il un lien ?
Il y a une explication tout à fait logique ! Mes parents se sont rencontrés en Suède et j’ai grandi en baignant dans cette culture. Je ne parle pas suédois, mais je l’ai entendue petite pendant longtemps, parce que mon père m’apprenait, chaque soir, un mot avant de me coucher. Ce disque m’a ainsi permis de me reconnecter avec ce pays que j’ai connu petite, avec mon histoire parentale, et je suis très fière que l’on passe du Wilhelm Stenhammar ou du Ture Rangström pour parler de moi.
J’ai fait un travail d’un an avec un collègue chanteur suédois qui était à l’Académie lui aussi, et aussi avec Joséphine, qui a voulu comme moi être capable de prononcer le suédois pour pouvoir l’accompagner comme elle le ferait dans une autre langue.
Nous avons rencontré Anne Sofie von Otter, Karl-Magnus Fredriksson, nous avons travaillé avec Mikael Engström, des grands pianistes et chanteurs suédois. Nous y sommes allées quatre fois, à chaque saison, car nous voulions nous imprégner de la lumière, des gens, dont l’accueil a été très généreux. Bengt Forsberg, qui venait de rééditer des partitions, nous en a offert toute une pile à l’aéroport en disant « faites un beau disque » : il a été notre bonne étoile. Nous avons été poussées à revisiter ce répertoire, à exhumer des morceaux méconnus, et les Suédois voyaient dans notre interprétation un peu de Debussy, de français, rendant cette musique un peu plus sensuelle.
Comment passez-vous d’un répertoire à l’autre ?
Je n’arrive pas à me centrer, mais nous vivons dans une époque qui le permet, et chaque époque stylistique le permet aussi à sa manière : rien que la vocalité baroque de nos jours est d’une grande richesse, avec beaucoup de théâtralité. Je retrouve aussi la folie de l’opérette en explorant le lien entre la voix parlée et la voix chantée. Faire rire, c’est la chose la plus difficile, et le comique qui s’apprend dans ces personnages-là sert pour d’autres. Tisbe avec Guillaume Gallienne a ainsi été pour moi une sacrée école, celle du comique qui se construit par la situation (pas en voulant être drôle), c’est un endroit particulièrement subtil et il est bien plus facile de faire pleurer.
Vocalement, c’est dans Mozart, Haendel, Rossini que je me fonds, qui m’installent corporellement également. Les vocalises n’ont jamais été difficiles et je sens que l’élasticité de ma voix aime ça, parcourir de grands ambitus, du très grave au très aigu. Bien entendu, cela se travaille, mais ma nature de voix m’y porte et m’offre ainsi des répertoires où incarner des hommes, des femmes, des sorcières, des méchantes, etc. C’est ça le plus grand du travail : connaître sa voix et la rendre malléable à différentes choses et différents répertoires.
[Mise à jour] : Comment avez-vous appris votre nomination dans la Catégorie Révélation Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2023 ?
J'allais prendre le métro pour rejoindre l'équipe de l'Académie de l'Opéra de Paris. En descendant les marches de l'escalier, j'ai vu un numéro que je ne connaissais pas, j'ai serré les doigts très fort en décrochant car je savais que la nouvelle devait tomber vers ce moment. En l'apprenant j'ai eu un éclat de rire, de bonheur nerveux et de surprise touchée par cette reconnaissance. J'ai gardé le secret tant qu'imposé mais j'ai plus tard pu le partager avec l'Académie, qui a été très importante pour m'aider à grandir et pour mon exposition.
Quant à la cérémonie j'en attends juste un beau moment à passer chez moi à Dijon, pour les 30 ans des Victoires et mes 30 ans. C'est pour moi un endroit rempli de souvenirs et ce sera un nouveau moment marquant, je n'en reviens toujours pas.
Quels morceaux avez-vous choisi d'interpréter dans le concert enregistré en amont de la cérémonie ?
J'ai fait exprès de concocter un mélange un peu étonnant et qui me ressemble : avec un air d'opéra grand public et son lot d'exigences techniques (je venais de chanter Rosine avec orchestre donc j'y étais à l'aise) et une Cabaret Song de William Bolcom pour montrer la dimension théâtrale, combien nous sommes des conteurs d'histoire avec des voix différentes et notamment jazzy. C'était un moment musical et de liberté avec mon collègue pianiste Carlos Sanchis Aguirre.
Retrouvez également nos interviews des deux autres artistes nommés dans la Catégorie Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2023 :
Alexandra Marcellier : "Butterfly a sans doute été mon ticket en or"
Edwin Fardini : "se créer des interstices où (se) créer soi-même"