Intermittence et année blanche, les oubliés
Cet article s’inscrit dans une analyse en trois volets :
- Les options du gouvernement
- Les oubliés des dispositifs
- La “course à l’échalote” au “contrat en or” de l'été ou de Noël
L’intermittence du spectacle qui donne droit à une allocation journalière (proportionnelle aux revenus et comprise entre 31,36 € et 133,27 €) est réservée aux artistes et techniciens ayant pu déclarer 507 heures de cachets sur les 12 mois précédents. Ce système instaure déjà en temps “normal” un effet de seuil entre ceux ayant effectué moins de 507 heures (qui n’ont pas le droit à cette indemnisation spécifique) et ceux ayant “fait leurs heures”. L’année blanche, prolongeant jusqu'au 31 août 2021 et qui vient d'être prolongée jusqu'au 31 décembre (pour cause de crise sanitaire et culturelle) les droits des intermittents affiliés au 1er mars 2020 (notre décryptage), a donc surmultiplié cet effet de seuil car tous ceux qui n'avaient pas (encore) leurs heures à cette date ont non seulement été maintenus hors du régime d’intermittence mais donc également de l’année blanche faite pour lutter contre la précarité des artistes et techniciens. De surcroît, ceux qui ne sont plus ou pas du bon côté des 507 heures (qu’ils aient connu une baisse d’activité avant la crise ou bien qu’ils soient de jeunes artistes se lançant dans la carrière ou se relançant, ou opérant une reconversion professionnelle), se retrouvent depuis l'année dernière face à une situation de l’embauche culturelle catastrophique, décourageant leurs espoirs d’obtenir des engagements et des cachets afin de trouver ou retrouver un statut (que de nombreux auraient atteint en temps normal).
La décision de prolonger l'année blanche jusqu'au 31 décembre 2021 s'est accompagnée de deux mesures supplémentaires, par une baisse de seuils liés aux heures et aux années : la clause de rattrapage (déjà disponible depuis 2016) permettant, une fois toutes les 5 années pleines d'affiliations aux intermittents ayant cumulé plus de 338 heures depuis leur dernier renouvellement de droits de disposer de 6 mois supplémentaires au maximum pour atteindre les 507 heures sera ouverte à tous les intermittents (même s'ils ne sont affiliés que depuis un an) et leur ouvrira des droits pour une année complète. Ce seuil abaissé de 338 heures a également été choisi comme celui d'entrée dans le régime pour les jeunes intermittents de moins de 30 ans, à partir de septembre 2021 et pendant six mois. Deux décisions qui soulignent donc aussi combien ces publics avaient été laissés pour compte, et rappellent combien d'autres le resteront.
Le nombre de ces laissés-pour-compte est assurément important et peut être estimé via les chiffres disponibles sur l’intermittence : ils sont déjà à compter parmi les 159.000 artistes ou techniciens ayant travaillé au moins une heure d’intermittence mais n'étant pas rattachés au régime d'indemnisation de l'intermittence. Bien évidemment, parmi ceux comptabilités dans ces chiffres, certains recourent à un contrat d’usage d’intermittence pour un complément de revenu d’une activité principale éventuellement salariée mais bien d’autres sont touchés de plein fouet sans bénéficier de ces aides spécifiques (se retrouvant donc pour beaucoup sans ressources autres que les minimas sociaux, voire totalement démunis en cette période de crise). Le nombre des nouveaux entrants en moins est également estimé par le Rapport sur la situation des intermittents du spectacle à l'issue de l'année blanche remis aux Ministres de la Culture et du Travail : "Environ un tiers de moins d’artistes et techniciens ont ouvert pour la première fois des droits à l’assurance chômage entre 2019 et 2020. Cette population recouvre des profils très variés, dont les jeunes professionnels sortant de leurs études, qui rencontrent d’importantes difficultés d’insertion professionnelle."
Si l’année blanche a soutenu les intermittents mais sans les épargner, la crise a donc eu un impact absolument terrible sur les artistes et techniciens non indemnisés. Ces non-intermittents subissent ainsi une triple peine, à cause de l'effet de seuil d'entrée au régime de l'intermittence, car ils n'ont pas le droit à un prolongement d'indemnités qu'ils ne touchent pas, ni la possibilité de travailler pour les obtenir.
Le Rapport remis au gouvernement proposait donc, outre les options concernant les intermittents, des mesures “temporaires” destinées à ces situations, avec la création “d’une allocation d’aide à l’insertion d’une durée de 6 mois avec un seuil d’accès inférieur à 507h sous condition d’âge et d’absence d’indemnisation antérieure” et en orientant davantage d’aides vers eux : l’aide à l’embauche du Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps), l’extension du GIP Cafés Cultures (fonds d’aide financé par les collectivités favorisant l’emploi artistique dans les cafés et restaurants) qui serait élargi “à d’autres employeurs occasionnels du spectacle vivant (centres de loisir, associations, petites collectivités territoriales, acteurs touristiques, etc.)” tout en facilitant et renforçant le recours au Fonds d’urgence spécifique de solidarité pour les artistes et techniciens du spectacle (Fussat) ainsi que le Fonds de professionnalisation et de solidarité (FPS).
Le Ministère de la Culture avait en effet décidé de cinq dispositifs d’aide (pour un montant de 5 millions d’euros, passé ensuite à 10 millions d’euros mais à comparer au milliard estimé pour l’année blanche) permettant d’octroyer un montant forfaitaire (versé donc une seule fois) de 1000 € (augmenté ensuite à hauteur de 1500 euros) pour les professionnels ayant travaillé plus de 250 heures avant l’année blanche mais ne recevant aucune allocation de Pôle emploi, ainsi que pour les intermittents ayant perdu leur allocation, les artistes domiciliés en France dont les contrats à l’étranger ont été annulés, les intermittents dont les droits n’ont pas repris faute de contrat post congé maternité, congé d’adoption, ou arrêt maladie de 30 jours consécutifs. Ces aides ne sont pas cumulables entre elles mais peuvent l’être avec une indemnité de 100 € (passée à 150 €) par contrat Guso (Guichet Unique du Spectacle Occasionnel) annulés entre le 1er mars et le 31 octobre 2020 (limitée à 5 cachets pour les intermittents). Toutefois, Audiens (organisme à but non lucratif notamment chargé par le Ministère de l’attribution de ces aides) indique désormais sur son site : “Pour 2021, les critères d'attribution ne sont pas encore connus et les demandes d'aides ne sont pas encore possibles. Depuis le 1er janvier 2021, il n'est plus possible de créer un compte, ni de déposer de demandes sur la plateforme sur les critères 2020.”
Cette situation des non-intermittents est bien entendu tout aussi inquiétante pour les intermittents, qui risquent de le devenir à leur tour, comme le précise là encore le rapport :“[Les intermittents] qui ne pourraient justifier d’aucun contrat de travail depuis la rentrée 2020 ne rouvriront pas de droit au 1er septembre 2021 (la date de fin du dernier contrat de travail sert de référence à la fixation de la date anniversaire suivante)”.
Cette date du 1er septembre 2021 a seulement été décalée au 1er janvier 2022, entraînant une situation actuelle mariant les espoirs et les craintes : ceux que la vie culturelle reprenne effectivement à plein régime, ou ceux que de nouvelles décisions s'imposent, très prochainement.