Gabriel Attal met Roselyne Bachelot au parfum
S’agit-il d’un nouveau “couac” gouvernemental (formule consacrée pour parler des prises de positions et de paroles contradictoires entre les membres de l’exécutif) ? Le porte-parole Gabriel Attal a-t-il laissé échapper un sentiment plus personnel (ou tout simplement a-t-il laissé parler son bon sens) en disant, dans un échange avec des lecteurs du Parisien : “J'avoue avoir du mal à expliquer qu'on puisse aller dans un Sephora [magasins de parfums, ndlr], mais pas dans un musée.” Cette assertion en forme de confidence dessinait même une sorte de mea culpa sur la politique gouvernementale, poursuivant ainsi : “il y a nécessairement, dans la gestion d'une telle épidémie, une part d'incohérence quand il faut limiter les interactions et les flux de personnes”. Cette réponse n’est certainement pas celle que le monde de la culture attendait, mais elle a au moins le mérite de sortir de tout l’argumentaire qui prévalait jusqu’à présent : une “logique” consistant à expliquer aux lieux de culture que la fermeture est justifiée (quitte à changer constamment d’arguments). Ou tout du moins, cette réponse aurait pu avoir ce mérite, sauf que la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot n’est pas sur la même longueur d’onde que le porte-parole du Gouvernement auquel elle appartient et elle continue de défendre la fermeture des lieux de culture, avec désormais un nouvel argument : un lieu de culture est par définition un lieu d’échanges, de débats, de contacts, d’interactions sociales (“les spectateurs discutent avant et après, ont envie de boire un verre”). Un argument nouveau et toujours aussi peu convaincant : des échanges sont parfois possibles et appréciés après les concerts dans les lieux de convivialité que sont les bars des théâtres ou autres, mais ces lieux sont actuellement fermés. Il en va de même pour d’éventuels échanges sur le spectacle devant le théâtre, ce qui n’est pas possible en ces temps de couvre-feu (et ce à quoi les théâtres ont déjà prouvé qu’ils savent y remédier, avec une sortie échelonnée des spectateurs par exemple, tandis que des regroupements de consommateurs de boissons sont toujours constatés à travers les rues des villes, devant des bars fermés entre autres).
De fait, la Ministre de la Culture poursuit en dénonçant la comparaison entre les lieux de culture et les lieux commerciaux, qui n’ont “rien à voir en termes d’interactions, d’échanges et de contacts”. Cette analyse est tout à fait juste, et elle est donc partagée entre Roselyne Bachelot et Gabriel Attal, sauf que la Ministre de la Culture en vient ainsi à pointer du doigt les lieux de culture comme dangereux (ce qui n’a jamais pu être démontré, au contraire) tandis que le porte-parole du gouvernement semble bien s’être rendu compte que les magasins brassent un nombre de personnes bien plus important, bien plus proches, qui touchent des produits, parlent, respectent plus ou moins les gestes barrières : contrairement aux lieux de culture vivante où les protocoles ont fait leurs preuves.
La contradiction entre les décisions ministérielles et les faits, qui s’incarne donc désormais dans une contradiction entre les paroles des différents ministres (révélant les bras de fer et arbitrages entre les Ministères de la Santé, de l’Économie et de la Culture, tous perdus par ce dernier), montre hélas surtout une stratégie dilatoire. L’objectif est de gagner du temps, en comptant sur la lassitude des professionnels du spectacle pour éteindre tout esprit de révolte, et en “croisant les doigts” comme le répète Roselyne Bachelot et comme elle l’admet : en attendant des vaccinations, des températures plus clémentes et des travaux sur un “modèle résilient” qui durent depuis trois mois sans que le moindre résultat n’ait pour l’instant filtré.
Les salles de spectacles et les artistes attendent donc, mi-avril peut-être, cet été au moins, mais l’inquiétude ne cesse de croître, notamment pour les intermittents dont l’année blanche arrive à échéance à la fin de l’été justement. La Ministre admet pourtant elle-même que “les artistes s’inquiètent à juste titre” mais sur cette question aussi, le discours de Roselyne Bachelot change au fil de ses interventions, s’infléchissant à mesure. Puisque la Ministre espère fortement une reprise des activités pour cet été, aucune annonce n’est encore faite sur le prolongement des droits des intermittents qui devront donc attendre les recommandations d’une mission ministérielle actuellement en cours. La responsable politique affirme qu’une décision sera prise prochainement et qu’il n’y aura “pas de solution au rabais” mais désormais la deuxième année blanche n’est plus qu’une option “qui n’est pas exclue” et la prolongation des droits pour les artistes et intermittents une mesure prise “si c’est nécessaire”. La stratégie consiste désormais à insister sur les primo-entrants et les matermittentes (droits aux congés maternité et paternité pour les intermittents), reprenant donc certaines des situations qui faisaient partie des “trous dans la raquette” pour la (première) année blanche. Reste à souhaiter qu’il ne s’agisse pas d’une stratégie consistant à mettre l’accent sur des cas particuliers pour rogner sur tout le reste du système, ce serait d’autant plus problématique que le soutien aux intermittents du spectacle en France est cité à longueur d’interviews par Roselyne Bachelot comme unique au monde et justifiant presque les fermetures des salles.