Femmes de lettres et Femmes de notes aux Journées du Matrimoine
Constituée de chercheuses et practiciennes spécialisées de la question de la place des femmes dans l’héritage culturel (Matrimoine se veut comme le contrepoint au féminin du Patrimoine), l’association vise la prise en compte des œuvres des “mères créatrices” au même titre que celles des hommes. En 2016, l’enquête de la SACD “Où sont les femmes ?” ne recensait que 2% de compositrices et 5% de femmes librettistes au sein des 102 théâtres, orchestres et opéras subventionnés étudiés (notre article complet). De manière plus générale, les femmes ne comptent que pour 10% dans le monde de la création musicale savante en France, alors que leur contribution à l’héritage musical est chose ancienne (en témoignent par exemple les études de Sylvie Granger sur les musiciennes d’église de l’Ancien Régime).
Ainsi, c’est Louise Farrenc qui a été choisie comme figure emblématique et figure de proue sur les affiches de cette édition 2020 des Journées du Matrimoine. Compositrice phare de la période romantique, pianiste et enseignante, elle est l’une des rares musiciennes à avoir fait jouer ses œuvres de son vivant. Nommée professeure de piano de la Duchesse d’Orléans en 1842 puis première femme instrumentiste titulaire au Conservatoire National de Paris, elle obtient d’être payée au même salaire que ses homologues masculins. Louise Farrenc s’illustre dans le domaine de la composition en produisant trois symphonies, de multiples pièces pour piano et œuvres de musique de chambre, mais, chose surprenante en son époque où le lyrique est hégémonique, jamais d’opéra. Outre sa virtuosité, elle est reconnue pour avoir porté un ambitieux projet d’anthologie de pièces pour piano du XVIème au XIXème siècle. Inscrite dans la filiation musicale de Mozart et Beethoven, elle est sans doute l’une des plus grandes musiciennes de son époque aux côtés de Fanny Mendelssohn et Clara Schumann (ou plutôt Clara Wieck). Elle sombre toutefois dans l’oubli et ses pièces ne sont que très rarement programmées. De fait, les Journées du Matrimoine offrent l’occasion de faire un tour d’horizon de ses œuvres, de son parcours, à l’occasion d’un concert lui étant dédié.
Autre femme, autre temps : le répertoire de la compositrice et interprète Colette Magny (1926-1997) sera exploré par la chanteuse Stefie Maz dans un spectacle musical sous le signe de la liberté. Engagée, rebelle et singulière, Colette Magny a connu une notoriété tardive dans les années 1960 en prêtant son timbre à des textes d’auteurs tels que Pablo Neruda et Louis Aragon, et en se faisant porte-voix des situations d’injustice.
À l’opéra, les femmes librettistes sont elles aussi méconnues. Qui plus est, la place accordée aux héroïnes dans les livrets les relègue -dans la plupart des cas- à l’archétype de la séductrice ou de la femme sacrifiée (voir à ce sujet le fameux ouvrage publié par Catherine Clément en 1979 : L'opéra ou la défaite des femmes). Avec l’atelier numérique, “Délivrons les livrets des femmes de l’Opéra Comique !”, l’association Le Deuxième Texte et Agnès Terrier, conseillère artistique et dramaturge de Favart visent à mettre en lumière les livrets rédigés par des femmes, notamment la romancière et comédienne Marie-Jeanne Riccoboni (1713-1792). L’atelier permettra la création participative d’un livret téléchargeable à l’issue des Journées du Matrimoine.
Comme expliqué dans un précédent article, le manque de représentation féminine dans le monde de la musique classique concerne aussi et surtout les postes de directions musicales. De fait, il importe de procurer aux générations futures des modèles en la matière. En proposant une lecture scénarisée et mise en scène par Karin Damas, le collectif Amazing Women invite les spectateurs et spectatrices à la découverte de Chiquinha Gonzaga (1847-1935) considérée comme première cheffe d’orchestre brésilienne, compositrice et pionnière de la défense des droits des minorités. Elle est l’auteure de plusieurs opérettes, notamment A Corte na Roça en 1885 et Forrobodó (1911) qui connaît un succès fulgurant au Brésil avec pas moins de 1 500 présentations, ainsi que d’un opéra, Maria.
Sur le même thème, retrouvez également notre grand format “Au Palazzetto Bru Zane, la résurrection musicale se conjugue aussi au féminin”