Dialogues des Carmélites à Liège : Mère Marie
La metteuse en scène de cette nouvelle production liégeoise, Marie Lambert-Le Bihan qui nous accompagne à travers cette série, nous présente d’abord ainsi Mère Marie de l’Incarnation, Sous-prieure du Carmel : « Mère Marie est un personnage complexe, le personnage le plus mystérieux, un peu inquiétant même. Elle est très obéissante mais lutte pour prendre les choses en main et faire le bien des autres, même malgré eux. Cela passe par la ferveur dans les scènes collectives et un peu de manipulation avec Blanche.
Mère Marie est d'une obédience presque aveugle, elle a des convictions presque jusqu'au fanatisme, mais elle est aussi faite de renoncements (elle peut avancer une idée de manière lyrique et puis se contredire comme pour réfréner ses élans). La tension de Mère Marie est presque permanente, elle est aux prises avec tous les personnages de l'opéra (elle est le pivot, un moteur de l'action) et ses deux dernières scènes sont énigmatiques, à l'image de son rapport avec Blanche (envers laquelle ses élans semblent maternels et/ou sensuels). Le martyre de Mère Marie est d’être condamnée à survivre aux autres. »
« Le personnage de Mère Marie est un important fil conducteur de l’intrigue, poursuit Julie Boulianne. Il faut savoir que nous tenons la plupart des informations concernant les vraies Carmélites de Compiègne et l’événement tragique qui a fait d’elles des martyres d’après des écrits de ce personnage historique. Mère Marie est une femme investie d’une mission. Son dévouement à Dieu est infaillible. Elle est intelligente et instruite. Elle possède le charisme naturel des gens issus de la noblesse. Elle est charitable et aimante, même dans sa fermeté. Son sort est aussi cruel que le sort de sa communauté, même si elle ne se rend pas à l’échafaud, puisqu’elle aura à vivre avec ses décisions, ses erreurs et avec la responsabilité de la mort de ses sœurs.
Mère Marie est un personnage très complexe et probablement le plus difficile que j’aurai eu à interpréter dans ma carrière. D’abord, il y a beaucoup de choix à faire, car il y a des différences majeures entre la Mère Marie qui a vécu et dont on possède les écrits, la Mère Marie de Gertrud Von Le Fort [qui a couché cette histoire sur le papier, ndlr], celle de Bernanos et enfin, celle de Poulenc. Au fil des transformations, on voit Mère Marie devenir de plus en plus responsable du destin de ses sœurs Carmélites. Il faut donc trouver les motifs du personnage et ce qui la pousse à prendre ses décisions. Est-ce l’égo, l’orgueil, la piété, la peur, la folie ? Du reste, il faut s’assurer que le public puisse lire dans les subtilités du jeu. Ces Carmélites ont existé, aucune d’entre elles ne doit rester unidimensionnelle. Par ailleurs, le plus grand défi reste probablement vocal, car il faut garder en tête qu’une Carmélite s’efforce de rester composée et humble en tout temps. Il y a des passages dans les lignes vocales de Poulenc qui suggèrent autrement. Il faut un contrôle vocal impeccable pour arriver à chanter la partition de Poulenc sans avoir l’air hystérique. Il y a beaucoup d’aigus soudains, pour tous les personnages.
A l’acte 3, Mère Marie va voir Blanche chez elle et essaie de la convaincre de revenir rejoindre ses sœurs. Au moment où elle lui dicte l’adresse où elle devrait se rendre pour se cacher en sécurité, Mère Marie utilise cette ligne musicale ascendante puissante qui est la même que La Prieure utilise dans le premier acte avant de mourir alors qu’elle ordonne à Mère Marie de prendre en charge Blanche. Le choix de Poulenc de reprendre cette musique à ce moment est formidable. Il est chargé de sens. Mère Marie se souvient qu’elle devra répondre de Blanche devant Dieu ainsi que La Prieure l’a voulu. Elle se souvient aussi de l’autorité naturelle de La Prieure. Elle s’efforce donc d’avoir la même autorité envers Blanche. Enfin, c’est le moment où on se rappelle que Mère Marie est responsable du sort de Blanche et on ressent toute l’importance que cette tâche signifie pour elle.
et la même mélodie par laquelle la Prieure confie Blanche à Mère Marie :
Cet opéra raconte une histoire importante qui mérite d’être connue de tous. C’est aussi l’histoire de 16 femmes qui ont décidé elles-mêmes de leur destin, ce qui est plutôt rare dans le genre. On y retrouve des êtres humains à part entière, avec leurs psychologies respectives et développées. On y est aussi exposé aux bons et aux mauvais côtés de la religion ou des sectes, ce qui est un sujet toujours actuel et fascinant. Pour finir, au risque de paraître peu originale, la scène finale est sans doute la plus marquante. C’est évidemment un incontournable. »
(Re)découvrez ces personnages poignants au fil des 10 épisodes de cette série, puis du 21 du 29 juin à l’Opéra de Wallonie-Liège.