Dialogues des Carmélites à Liège : Blanche
Bien entendu, la metteuse en scène de cette nouvelle production, Marie Lambert-Le Bihan qui nous accompagnera à travers toute cette série, commence elle aussi par nous présenter le personnage de Blanche de la Force, la novice du Carmel : « Cette jeune femme a peur de la vie et se pose des questions sur l’énigme de l’existence. Elle est pour nous spectateurs, l’entrée dans un monde d’angoisse et de recueillement. Peu de mots suffisent à accéder à sa vie intérieure, à la comprendre, à saisir ses éclairs fulgurants de lucidité. Tout cela rend ce personnage à la fois fascinant et infini (comme tous les personnages de cet opéra qui sont complexes). »
« Le rôle de Blanche est une grande responsabilité, explique Alexandra Marcellier qui l’interprétera à Liège, pour sa place centrale dans l’ouvrage et car elle est la seule incarnation “fictionnelle” [elle a été rajoutée à ces Carmélites et à cette histoire historique, dans la nouvelle La Dernière à l'échafaud, publiée par Gertrud von Le Fort en 1931 et qui a inspiré Georges Bernanos, puis Poulenc, ndlr]. Blanche fait donc le lien entre les mondes, entre réalité et fiction (entre dialogues-témoignages et poésie du récit), entre l’histoire et l’Histoire (d’autant plus qu’elle est le liant entre tous les personnages).
Elle est un personnage complexe, très présente, avec un tempérament multiple : elle est plusieurs personnages en une. Elle est mal dans sa peau, elle ne sait pas ce qu'elle veut mais elle le veut très fort et une fois qu’elle l’a, elle n’est pas heureuse, pas à l’aise. Pour moi le moment pilier, est le duo de Blanche avec son frère [le Chevalier de la Force auquel nous dédions un épisode ultérieur, comme pour les autres personnages de cette série, ndlr], lorsque celui-ci vient la voir au couvent, parce que c'est là où elle essaye de s'imposer réellement, de vaincre toutes ses peurs, en affirmant qu’elle veut rester.
Si elle est entrée au Carmel c’est parce qu’elle a peur de tout, elle est même née littéralement dans la peur, comme elle le dit (sa mère ayant accouché d’elle suite à une peur panique, bloquée dans un mouvement de foule, et en est morte). Blanche a donc peur en tant que fille, peur de devenir mère, alors elle cherche un refuge, un endroit où elle sera protégée et où elle trouverait une mère de substitution. Mais ce lien qu’elle entrevoit et tisse avec la première Prieure est à nouveau cassé, par la peur et par la mort, là encore, lorsque Blanche doit la veiller durant ses dernières souffrances. Et ce refuge qu’elle cherche devient précisément lieu de la Terreur (le couvent étant assailli par des révolutionnaires).
Si Blanche avait suivi le conseil de son frère, elle serait partie dans une maison de campagne à boire du lait frais, l'histoire aurait pu être complètement différente : elle aurait pu assouvir ce besoin de revenir à des sources plus équilibrées, dans la vraie vie. Mais elle essaye de s’imposer, en tant que femme et non plus comme une petite fille (mais elle n'y arrive pas). Elle essaye de se réaliser à travers une image de ce qu’elle n’est même pas, celle de nonne : elle n'a pas eu le temps de porter le voile, Constance et elle n'ont pas eu le temps de prononcer leurs vœux.
Tous ces enjeux, ce caractère, et la qualité du texte ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit d’un rôle lyrique, d’opéra. Il faut chanter, pleinement, des phrases intenses. C’est un rôle très exigeant, difficile, il faut interpréter le théâtre, il y a le texte, mais il faut une voix, la technique vocale opératique, qui traduise aussi cet esprit de folie retranscrit par des notes aiguës.
Certains passages sont tout à fait somptueux, notamment avec le frère (ce “Oh! ne me quittez pas sur un adieu de fâcherie !” par exemple). Il faut déployer des phrases presque pucciniennes (dans ses envolées orchestrales on voit parfois Butterfly), mais où l’on reconnaît tout de suite et constamment la patte de Poulenc.
Poulenc aime la voix. Il a parfaitement distingué les voix de femmes, pour pleinement tirer toutes les spécificités de chacune des typologies vocales. Même habillées pareillement, même invisibles, chacune pourrait se distinguer et son caractère avec, par sa vocalité. »
(Re)découvrez ces personnages poignants au fil des 10 épisodes de cette série, puis du 21 du 29 juin à l’Opéra de Wallonie-Liège.
1- Blanche
2- Madame de Croissy
3- Mère Marie
4- Madame Lidoine
5- Constance
6- Chevalier de la Force