Phaéton à l’Opéra de Nice : le rôle-titre
Le metteur en scène Eric Oberdorff qui nous faisait voyager hier dans son plateau en forme de système solaire, nous en présente aujourd’hui le personnage central et éponyme, qui s’élève aussi haut que le Soleil (mais plus dure sera la chute) : “Phaéton est un personnage tragique qui a des préoccupations extrêmement contemporaines : il est comme un condensé de nos failles et de nos espoirs, de nos ambitions et fragilités en tant qu’être humain. Il est né de père inconnu, d’une mère aimante mais surprotectrice et qui l’étouffe. Il grandit dans un environnement qui n’est pas le sien, où il est ostracisé par un système de classe (d’autant qu’il n’en connaît pas les codes). Pourtant, il comprend rapidement les jeux d’alliance et de pouvoir (aidé par sa mère mais qui va finalement causer sa perte), il essaye de faire un mariage qui lui permettra d’atteindre ce à quoi il aspire : alors qu’il aurait pu toucher un peu du bonheur que la vie lui offre, il est aveuglé par son environnement.
Il entend vaguement parler du fait que son père serait le soleil alors il s’en convainc (et il se trouve que c’est vrai). Il souffre de cette absence de modèle paternel, alors il s’en crée un, qu’il sublime et mythifie. Quand finalement son père avoue sa paternité, c’est comme un chef d’entreprise qui reconnaîtrait son enfant naturel, mais avec un temps très compté : il essaye de racheter son absence et tout le temps qu’il ne lui a pas accordé en lui faisant un cadeau démesuré. À la fin de cette scène touchante dans le rapport père-fils, le père soleil met fin à l'entrevue de la même manière qu’il le ferait pour une fin de réunion avec un collaborateur : il laisse très peu de place à l’affect et à l’émotion (et il considérera plus tard comme un moment de faiblesse la reconnaissance de sa paternité, qui le mène à confier son char à Phaéton).
Phaéton a ses envies et ses aspirations, mais imaginer qu’il pourrait arriver ne serait-ce qu’à mi-chemin de ce qu’il entreprend semblerait presque tenir du miracle. Phaéton est donc un personnage éternel et contemporain : on le retrouve en arts, chez Molière, Shakespeare, Balzac, Zola. C’est l’âme humaine disséquée et qui se tisse à travers l'œuvre, par ses relations avec tous les autres personnages et cette musique.”
Mark Van Arsdale nous présente à son tour ce personnage, qu'il incarnera à Nice : “Phaéton est le fils du Roi Soleil et de Clymène. Abandonné par son père, il est élevé par sa mère, qui lui apprend l’ambition : elle-même voit sa chance de prendre le pouvoir et épouse Merops, Roi d’Égypte. Donc Phaéton connaît deux grandes émotions dans le fond de son cœur : l’abandon et l’ambition. L’abandon de son père dès sa naissance, et l’ambition de sa mère, dont il voit l’avenir.
Phaéton dit qu’il aime Théone, mais il ne connaît pas l’amour, car il ne connaît pas les principes du partage, du sacrifice, de l’humilité. Il ne la veut plus, car il a une meilleure idée : épouser sa demi-sœur, Libye, fille de Merops et de sa première femme, afin d'atteindre la couronne d’Egypte. Mais Libye aime Epaphus, et son mariage avec Phaéton enrage son amant. Epaphus déclare que Phaéton n’est pas vraiment le fils du Soleil. Phaéton, enragé, supplie son père de conduire le chariot du soleil pour un jour. Mais Phaéton, aveuglé par son ambition et sa rage, perd le contrôle du chariot et menace la Terre. Jupiter, père d’Epaphus, le frappe d'un coup de tonnerre. Phaéton meurt et le monde est sauvé.
Phaéton est un égoïste, purement et simplement. Il ne pense qu'à lui-même, à son avenir, à ses rêves et souhaits. Comme il dit à sa mère : « Je veux me faire un nom d’éternelle mémoire. J’ai déjà trop langui dans un honteux repos. La plus forte amour d’un Héros doit être l’amour de la gloire. »
Les rôles de ténor chez Lully sont fameusement difficiles -non pour la force ni le poids de la voix, mais pour la tessiture. La plupart des rôles sont pour haute-contre, et le chant est mixte entre la voix de la poitrine et la voix de la tête. C’est difficile à négocier. J’ai beaucoup d’admiration pour les spécialistes dans le répertoire baroque, mais pour ma part je chante dans de nombreux styles, beaucoup de Mozart, du lyrique-léger, et de la musique contemporaine. Donc j’approche le rôle avec ma voix : un peu plus de poitrine et moins de tête.
La plupart des interventions de Phaéton sont dialoguées. Il n’y a pas vraiment cette distinction entre récitatif et air. Il y a quelques airs et duos, mais le génie de Lully est que la plupart de cette œuvre est en dialogue. Il y a cette flexibilité de rythme, de geste vocal, et d’expression qui fait vivre le texte d'une manière différente. Quand le public s'adapte au style musical, le texte et le drame sont vraiment beaucoup plus approchables, vivants et immédiats. C’est presque parfois une pièce de théâtre parlé !”
Retrouvez notre compte-rendu de cette productionPour naviguer parmi les Airs du Jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1. Le Plateau héliocentrique
2. Phaéton
3. Climène
4. Théone
5. Merops et Saturne
6. Libye
7. Epaphus
8. Triton, le Soleil et la Terre
9. Protée et Jupiter
10. L’Orchestre et le Chant de Lully