Robert le Diable face à Alice
Si Robert le Diable devient un ange, c’est pour l’amour d’Isabelle (les deux premiers personnages présentés dans cette série), mais c’est avant cela grâce à Alice. En effet, c’est en la voyant sur le point d’être malmenée et en la reconnaissant comme sa sœur de lait (fille élevée avec lui par la même nourrice), que Robert réalise combien il a un comportement criminel et décide de changer de conduite.
Alice sera interprétée à Bordeaux par Amina Edris : une artiste notamment remarquée en France grâce au Concours Bordeaux Médoc Lyrique dont elle est lauréate en 2018 et en Manon de Massenet à l’Opéra National de Bordeaux sous la direction de Marc Minkowski déjà, dans la mise en scène d’Olivier Py (ce qui la mena dans la foulée à incarner le rôle à Bastille, mise en scène par Vincent Huguet).
La soprano égyptienne formée en Nouvelle-Zélande présente ainsi son rôle : “L'histoire de Robert le Diable dépeint une lutte cosmique entre le bien et le mal, la lumière et l'obscurité, l'ordre et le chaos. La présence d'Alice dans cette histoire est presque angélique et on le comprend tout de suite, dès son premier air. Non seulement elle délivre le message venant de la mère de Robert et l'avertissant de cette force obscure menaçante, mais elle est, elle-même, inlassable dans ses efforts pour le protéger. C'est pourquoi je la vois comme un personnage d'ange gardien. Elle a un grand sens de son but et de ses responsabilités.
Je suis particulièrement enthousiasmée par le trio final entre Robert, Alice et Bertram, que je trouve vraiment exaltant à la fois dans l'écriture musicale et le théâtre.”
Amina Edris chantait déjà le premier couplet de ce premier air elle qu'elle mentionne, "Va, dit-elle mon enfant" (Romance de l'Acte I, Scène 4) à Bordeaux, accompagnée au piano par Jean-Marc Fontana pour le concert de Gala du 11 mars 2020 (lors duquel Nicolas Courjal dont nous parlions hier en Bertram chantait déjà "Nonnes, qui reposez") :
Va, dit‐elle, va, mon enfant, Dire au fils qui m'a délaissée
Qu'il eut la dernière pensée D'un cœur qui s'éteint en l'aimant.
Adoucis sa douleur amère, Il ne reste pas sans appui :
Dans les cieux comme sur la terre, Sa mère va prier pour lui.
Quant au trio final entre Robert, Bertram et Alice, le voici interprété par nuls autres qu'Alain Vanzo, Samuel Ramey et Michèle Lagrange sous la direction de Thomas Fulton à l'Opéra de Paris en 1985 (la seule production dans les archives contemporaines de la maison capitale, soit depuis 1972, et avec de nombreuses coupes expliquant des transitions brutales telles que retranscrites dans le texte ci-dessous) :
ROBERT
L’arrêt est prononcé, l’enfer est le plus fort, Ne crains pas que je t’abandonne.
ALICE
Robert, qu’ai-je entendu ?
BERTRAM, à Alice.
Dans ce lieu qui t’amène ?
ALICE.
Une heureuse nouvelle ! Et la noble princesse, à votre amour ravie, Vous attend à l’autel.
BERTRAM.
Pars, il faut t’éloigner.
ALICE, à Robert.
Pourriez-vous donc l’abandonner ? Avez-vous oublié le serment qui vous lie ?
BERTRAM, à Robert.
Hâtons-nous, le temps presse, et l’heure va sonner.
TRIO
ROBERT, à Bertram.
Que faut-il faire ? À tes lois je souscris d’avance.
ALICE (À Robert)
Ô ciel ! Robert, ton serment !
ROBERT
Silence !
Un devoir plus grand m'en dispense.
ALICE
Un devoir plus grand que la mort ?
Dieu puissant, ciel propice, Que ton nom protecteur Dans son cœur retentisse, Et le rende au bonheur !
BERTRAM
Ô tourment ! ô supplice ! Mon fils, mon seul bonheur ! À mes vœux sois propice, J’en appelle à ton cœur.
ALICE
Dieu puissant, ciel propice, Que ton nom protecteur Dans son cœur retentisse, Et le rende au bonheur !
ROBERT
Ô tourment ! ô supplice ! Qui déchirent mon cœur, Faut-il que je périsse D’épouvante et d’horreur !
BERTRAM
Hâtons-nous.
Tiens, voici cet écrit redoutable Qui peut seul engager ta foi !
ALICE, à part.
Ô ciel ! inspire-moi !
ROBERT, tendant la main du côté de Bertram.
Donne donc !
ALICE
Le voici ! fils ingrat, fils coupable ! Lisez !
ROBERT
Ô ciel ! c’est la main de ma mère !
« Mon fils, ma tendresse assidue Veille sur toi du haut des cieux. Fuis les conseils audacieux Du séducteur qui m’a perdue. »
BERTRAM
Eh quoi ! ton cœur hésite entre nous deux ?
ROBERT
Je tremble… je frémis… Que décider ? ô cieux !
ALICE (relisant à voix haut la lettre)
« Mon fils ! mon fils ! ma tendresse assidue Veille sur toi du haut des cieux. »
BERTRAM, à Robert
Mon fils ! mon fils ! jette sur moi la vue, Vois mes tourments, entends mes vœux ; D’un vain écrit ton âme est-elle émue ?
ALICE
« Fuis les conseils audacieux Du séducteur qui m’a perdue. »
ROBERT, entre les deux.
Prenez pitié de moi !
BERTRAM
Non, partons à l’instant. Tu me vois à tes pieds.
ALICE, de l’autre côté.
Vois le ciel qui t’attend.
BERTRAM
Ô tourment ! ô supplice ! Mon fils, mon seul bonheur, etc.
ALICE
Dieu puissant, ciel propice ! Que ton nom protecteur, etc.
ROBERT
Ô tourment ! ô supplice ! Qui déchirent mon cœur, etc.
ROBERT, prenant la main d’Alice
Viens.
ALICE, de même.
Viens.
C’est minuit… ô bonheur !
BERTRAM, poussant un cri terrible.
Ah ! tu l’emportes, Dieu vengeur !
CHŒUR AÉRIEN
Chantez, troupe immortelle, Reprenez vos divins concerts : Il nous est resté fidèle, Que les cieux lui soient ouverts !
ISABELLE, ALICE ET LE CHŒUR
Gloire, gloire immortelle Au Dieu de l’univers !
Il est resté fidèle
Les cieux lui sont ouverts.
Mais Alice incarne-t-elle vraiment le Bien absolu face au Diable Bertram ? Le metteur en espace de cette production bordelaise à l'affiche en septembre, Luc Birraux invite les interprètes et le public à critiquer et décrypter ces images toutes-faites : "L'histoire n'a rien du manichéisme entre le Bien et le Mal. Dans l'iconographie et même dans le livret, Alice est érigée en image du Bien pour l'opposer au personnage du Mal de Bertram. Mais Alice n'a rien d'une image du Bien absolu : elle sait pertinemment qu'en donnant rendez-vous à Raimbaut sur le Rocher de Sainte-Irène, où chacun sait qu'il y a une grotte hantée, leur mariage a de fortes chances d'échouer. Son amour puissant pour Robert, latent, incestueux et interdit présente certes, à la fin, une forme apparente de rédemption mais nullement par un choix héroïque de Robert : il s'en sort par l'inaction. Idem pour Isabelle, qui agit peu et accepte son état de fait. Mais tout cela précisément est très intéressant à montrer : pour ce qui nous est raconté et pour le côté comique aussi. C'est d'un réalisme inspirant et l'identification se fait naturellement." Telle est la vision de Luc Birraux sur laquelle il travaille en ce moment même à Bordeaux.
Pour naviguer parmi les Airs du jour de cette série, cliquez sur les liens ci-dessous :
1- L'ouverture et l'orchestration
2- Robert le Diable
3- Princesse Isabelle
4- Bertram
5 - Alice
6- Raimbaut
7- Le Héraut d'Armes
8- Maître des Cérémonies
9- Chevalier et prêtre
10- Choeur